Le Prestige

de Christopher Nolan (Ang-EU, 2h08) avec Hugh Jackman, Christian Bale...


Après Mémoires de nos pères et Les Fils de l'homme, une major américaine envoie à nouveau un des meilleurs films de la saison au casse-pipe, pendant que des trucs franchouillards aussi crétins que Ne le dis à personne ou Prête-moi ta main ont droit à une promo démesurée, comme si au cinéma aussi on appliquait le patriotisme économique... Colère passée, il faut absolument aller voir ce Prestige, cinquième film de Christopher Nolan qui, à la manière de Cuaron ou Del Toro, met à profit le succès de son blockbuster hollywoodien pour s'aventurer sur un terrain plus original, celui d'un duel de magiciens rivaux à Londres à la fin du XIXe siècle. Nolan, qui doit sa réputation à Memento, thriller alambiqué et fascinant, n'a jamais vraiment changé de forme depuis. En revanche, il semblait chercher un sujet, comme en témoignait la complexité de Batman Begins, trois films fondus en un seul mille-feuille narratif éreintant. Le Prestige ne fonctionne également que par strates, multipliant les changements de narrateurs, de temporalités et de points de vue. Mais ici, cette adresse scénaristique est parfaitement synchrone avec ce qui se passe sur l'écran, où le spectateur est appelé à décortiquer le mécanisme du spectacle tout en étant le premier à en subir les mystifications. À une époque où les effets spéciaux numériques règnent en maîtres, le cinéaste s'intéresse à une illusion à l'ancienne, où les trucages ont encore quelque chose à voir avec le réel. Ce n'est pas pour rien si les deux magiciens du film payent un prix organique dans leur affrontement (deux doigts pour l'un, une jambe pour l'autre) : on ne sort pas indemne d'une manipulation de la réalité, ni des sentiments humains d'ailleurs. Jouissif, Le Prestige gagne aussi la partie par cette puissante incarnation (chaque acteur joue à la perfection la partition de son personnage). L'élégance des dialogues et de la reconstitution d'époque achève de rendre crédible l'univers dépeint, par ailleurs teinté de ce flottement mélancolique qui fait de Christopher Nolan un cinéaste malin et brillant, mais aussi profondément habité par ce qu'il filme. CC


<< article précédent
Half Nelson