Les âmes damnées


Littérature / Brodeck l'annonce dès le début de son récit : il n'était pas présent lors du crime. Ses mains ne sont pas couvertes de sang. Lui, il est innocent. Les tueurs ce sont les habitants de son village, bourgade située dans une région alémanique indéfinie, où les hommes parlent un patois proche de l'allemand. Ces hommes ont tué «l'Anderer» – l'Autre, dans un moment qu'ils nomment «l'Ereignies» – l'incident ou l'événement. Cet Autre a été tué, car il était coupable d'être «différent», c'est-à-dire silencieux, souriant, amoureux de la nature, observateur. Brodeck, qui sait mieux écrire que parler, est chargé par ces villageois de rédiger un rapport, document qui doit les disculper, les justifier. Mais en marge de ce rapport, il écrit un autre récit dans lequel remonte son histoire récente. Son rapport à lui. Brodeck est rescapé des camps de la mort - la fin de la deuxième guerre mondiale est toute proche. Ce sont ces mêmes villageois qui l'ont dénoncé, son nom avait une origine étrange, et qui l'ont envoyé en enfer. Mais Brodeck, rempli, porté par l'amour qu'il éprouve pour Emélia, supporte tout - de devenir chien, de voir une belle femme et son bébé assister chaque matin à la pendaison d'un homme - et revient au village. Dans son «rapport», il décrit ce que la Shoah (qui n'est jamais nommée) a fait de lui, ce qu'il a vécu, vu, ce que les hommes font aux hommes, dans son village et ailleurs. Dans ce récit à rebours qui génère une tension permanente, le talent d'écrivain de Philippe Claudel est à son apogée. La fluidité de l'écriture, l'intensité de certaines scènes, la justesse des réflexions font que l'on ressort de cette lecture hagard. Le Rapport de Brodeck, roman sur toutes les formes d'inhumanité, de barbarie et d'intolérance achève la fin d'un cycle entamé avec Les Âmes grises, et La petite fille de Monsieur Lihn. Un troisième volet poignant d'humanité. SDRencontre avec Philippe Claudelmar 30 oct à 18h30, à la Librairie Le SquareLivre : “Le Rapport de Brodeck“ (éditions Stock)


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Le 19e souffle