Anxieux qui comme Ulysse

Le retour de Jean-Claude Gallotta aux sources du spectacle qui assura sa prime renommée ne pouvait être une croisière sur un fleuve tranquille. Au sortir de ses multiples expériences des décennies écoulées à travers le globe, ce cher Ulysse nous revient dans un état d'incertitude permanent. François Cau


Dans la féconde carrière de Jean-Claude Gallotta, Ulysse fait office de balise, de repère pour le chorégraphe. La création date de 1981, et inaugurait, via une réinterprétation audacieuse du mythe en tableaux évocateurs et précurseurs, une nouvelle voie pour la danse contemporaine. En 1993, la pièce est recréée, comme un bilan de parcours : Jean-Claude Gallotta est désormais reconnu, son répertoire s'est agrandi d'une dizaine de pièces, il se représente à travers le globe, cultive sa soif pragmatique de voyages tous azimuts. Pour ses Variations, deux ans plus tard, Ulysse se paie la scène de l'Opéra Bastille. De fastes Maisons en scéniques prestigieux, la pièce aura accueilli moult reconfigurations, moult adaptations de son Odyssée chorégraphique. Aujourd'hui, le spectacle rejaillit de nouveau, étape chorégraphique nécessaire pour Jean-Claude Gallotta, histoire de faire le point sur son propre Odyssée.

La mélancolie ne passera pas

«La pièce raconte le blanc, l'espoir, les années 80, la gauche au pouvoir, des moyens supplémentaires pour la culture» nous dit le chorégraphe sur la création originale dans Gallotta (Actes Sud). Que reste-t-il de cette mythologie constructrice ? Le blanc. Des néons diaphanes, des costumes volatiles, des écrans suspendus figurant des voiles au repos – Ulysse est amarré mais toujours pas à bon port. Gallotta entre sur scène avec Françoise Bal-Goetz, interprète de la version de 1993, tente de retrouver avec elle les mouvements du spectacle avant de céder la place au reste de la troupe. Les tableaux s'enchaînent sur l'oppressante bande-son de Strigall, qui s'autorise pour le coup quelques échappées électro du meilleur effet. Ne se mêlant qu'en de rares occasions aux autres interprètes, Jean-Claude Gallotta préfèrera les encercler, puis feuler des paroles volontairement à peine audibles sur un morceau entêtant. L'angoisse inhérente à cette mise en place donne à Cher Ulysse ses meilleurs moments, l'urgence qui en découle aurait quant à elle tendance à perdre le spectateur dans des méandres souvent déstabilisants (notamment via les irruptions incongrues de Françoise Bal-Goetz et Darrel Davis). Au-delà de ces digressions voulues, reste la beauté évidente des tableaux où Gallotta exprime son incompréhension du monde contemporain, quitte à se perdre. Le chorégraphe, avant les premières représentations “officielles“ au Théâtre National de Chaillot, s'est fait un point d'honneur à jouer la pièce au préalable pour le public grenoblois : Ulysse ne sait peut-être pas où le mène son périple, mais il n'oublie pas d'où il vient.

Cher Ulysse du mar 23 au ven 26 oct, au Grand Théâtre de la MC2


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