Vivre ensemble

Danse / Avec sa nouvelle création, Regarde-moi, le chorégraphe Bouba Landrille Tchouda ne déçoit pas, et livre une belle vision dansée des enjeux individuels de la vie en communauté. Damien Grimbert


Comme souvent, après deux très belles créations (Malandragem, et Des Mots), c'est avec une légère pointe d'inquiétude qu'on attendait le nouveau spectacle de la compagnie Malka : Le pari allait-il de nouveau être relevé, la création à la hauteur de nos attentes ? Rapidement, les lumières s'éteignent et les doutes disparaissent. Sur scène, un décor dépouillé, constitué de quelques éléments symboliques d'une colocation : un canapé, un réfrigérateur, une penderie… Les danseurs sont disparates au possible, leurs vêtements de couleurs chatoyantes, la musique (de nouveau composée par Henri Torgue) est à l'image des mouvements des protagonistes, changeante, subtile et toujours rythmée. L'atmosphère se crée progressivement, les individualités se croisent, se cherchent, s'invectivent, s'affrontent ou s'enlacent parfois, au gré de chorégraphies hypnotiques et souvent virtuoses mais qui ne prennent jamais le pas sur le propos. Tenter de vivre ensemble malgré les différences, dans un quotidien qui semble lui-même générer le chaos, supporter le regard de l'autre, créateur de doute, le comprendre, s'en servir pour avancer… Autant d'éléments traités dans Regarde-moi, mais pas de manière scolaire, linéaire, ou naïve. Pas de “happy end” à la con où tout le monde danse main dans la main.Aire de jeCette subtilité, ce sens des nuances, qui, fait rare, n'oublie cependant jamais le spectateur au passage, résulte de plusieurs éléments : l'utilisation du langage chorégraphique, bien entendu, dont Bouba a déjà montré plus d'une fois sa maîtrise, mais également les excellentes prestations des danseurs, dont le chorégraphe utilise à la fois le parcours, le caractère et l'individualité pour donner chair à sa création. L'universalité du propos, en revanche, son accessibilité et sa justesse, sont plus à chercher dans les racines hip-hop de la compagnie. Car si ce dernier est omniprésent dans Regarde-moi, il n'est pourtant jamais là où ses contempteurs aimeraient le cloisonner, dans une forme tape-à-l'œil et superficielle, ou un fond bien-pensant et convenu. Il est dans l'énergie tonique qui anime les mouvements, le ton lucide, direct et sans fioritures, la gouaille moqueuse qui empêche de s'apitoyer ou de se prendre au sérieux, la tension électrique et flamboyante, qui en l'espace d'un instant, peut prendre possession de la scène… Il est le sel qui va permettre à l'alchimie scénique de prendre vie, et donner à la pièce son caractère singulier, dénué de demi-mesure, qui en fait une expérience qu'on ne peut, sans état d'âme, que vous enjoindre à partager.Regarde-moi les 4 et 5 oct à 20h, à la Rampe


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