L'étoffe des héros

THÉÂTRE / Michel Belletante exploite les possibilités de sa scénographie épurée au maximum, et redonne au texte mordant de Jean-Luc Lagarce la puissance de ses confrontations chorales. François Cau


Avant que le spectacle ne commence, la volubilité du metteur en scène semble trahir une certaine nervosité. Les portes de la salle sont encore fermées, on entend juste en fond le chant traditionnel yiddish qui rythmera des changements de tableaux. Les comédiens s'échauffent donc la voix, et Michel Belletante revient sur la genèse du texte. «Le texte est un patchwork. Lagarce s'est amusé à y greffer beaucoup de mots de Kafka. On a exploré les racines yiddish de cette troupe de théâtre, en clin d'œil à la référence de départ, et on a fait un dernier lien avec le film Le Voyage des Comédiens de Théo Angelopoulos». Ellipse, le rideau s'ouvre sur une scène vide, où s'entassent des dizaines de projecteurs et autres reliquats de spectacles passés. L'intro est burlesque, la troupe de comédiens se bouscule, se monte dessus, s'accapare le vide scénique avant d'y poser définitivement ses valises. Les personnages sont des comédiens usés, conscients de leurs limites et de leur désuétude, dans une Europe Centrale vivant dans la crainte d'un conflit sur le point d'éclater.Viens voir les comédiensPremier tour de force : en réduisant la scénographie au minimum, Michel Belletante s'est assujetti à une contrainte de taille. Il multiplie les jeux de lumière, enchaîne les tableaux sans aucun temps mort, fait reposer l'intégralité de sa création sur le tempo allegro de ses acteurs. Deuxième pari réussi, corollaire du précédent, la troupe présente sur scène, passée l'introduction, prend corps avec une jubilation visible. Chaque personnage est excellemment campé, la langue de Jean-Luc Lagarce claque avec tendresse et férocité, souvent dans la même scène. Les interactions s'installent naturellement entre les partenaires, magie d'un spectacle entièrement synchrone avec son propos – une ode désabusée à l'esprit de troupe, alors que les facilités de l'individualisme tentent de s'immiscer dans la moindre faiblesse. Certaines scènes peuvent sembler un rien trop frénétique, sans que cela nuise pour autant à l'émotion de l'ensemble. La version jouée l'an dernier au Théâtre de Création nous avait fait découvrir un texte mordant, et cette mise en scène de Michel Belletante nous en révèle les enjeux humains comme la précieuse mélancolie. Encore bravo à toute la troupe. Une ultime précision : pendant la durée des représentations, l'espace restauration de l'Amphithéâtre accueille une exposition constituée de dix photographies noir et blanc, effectuées par Lin Delpierre lors des répétitions et tournées de spectacles mis en scène par Jean-Luc Lagarce. Des portraits souvent saisissants, captant à la perfection les affres de la création artistique.Nous les hérosJusqu'au 10 mars, à l'Amphithéâtre (Pont-de-Claix)


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