Je suis une légende

MUSIQUE / Si le rap français “de rue” a enfin pu relever la tête en 2006, c'est en grande partie grâce au premier album de Sefyu, “Qui suis-je ?”. Plus hardcore, plus talentueux, et plus original que 90% de la concurrence, ce dernier sera mercredi prochain au Foyer de la MJC de Pont-de-Claix. Damien Grimbert


Défendre le talent de Sefyu face à un public non-initié n'est pas chose facile. Avec son flow rocailleux / racailleux à faire passer Booba pour un jeune étudiant BCBG, et ses paroles brutales et crues, il n'est pas près de détrôner le surfait Abd Al Malik dans les conversations mondaines. Et pourtant, dès la première écoute, quelque chose accroche l'oreille. Une présence, une élocution travaillée qui semble pourtant spontanée, quelques astuces d'écriture captées à la va-vite… C'est une évidence : Sefyu rappe très bien. Les sonorités minimalistes, sombres, lancinantes, et les rythmiques tranchantes maltraitant sans concession mélodies orientales ou chants d'église, jouent parfaitement leur rôle. Et le propos surprend à plus d'une reprise. Comme dans La Légende, un des morceaux-phares de l'album, qui a amplement contribué à la création du buzz autour de ce jeune type d'Aulnay-sous-Bois. Vindicatif, sur un beat gras et rugueux, il y fait violemment s'entrechoquer les clichés des médias, de l'opinion publique, et ceux entretenus dans les cités. Histoire de renvoyer la balle à chacun, pour mieux conclure par un acide «La légende veut qu'on n'inverse pas les rôles / J'imagine pas Chirac foncedé au crack dans mon hall…».Sénégalo-ruskovCar au final, Sefyu, de même qu'il met toujours son visage en retrait, parle très peu de lui tout au long des 18 titres de ce Qui suis-je ?, préférant varier les styles pour mieux traiter ses sujets de prédilection, la cité et la rue. Histoire de donner à voir plusieurs angles, de confronter différents points de vue, bref ce qui manque cruellement à l'heure actuelle. Du récit ultra-réaliste d'embrouilles hardcore dans les glaçants Faits Divers et Crouille au single sous forme d'exercice de style La vie qui va avec, de l'outrancier hymne ghetto En live de la cave à la rage froide et introspective qui anime Qui suis-je ?, il multiplie les pistes, et fait même sourire à l'occasion, à coup de punchlines incongrues. Ensuite, on ne va pas faire dans la surenchère non plus, s'il a le bon goût de ne pas se la jouer en citant Derrida et Deleuze entre deux rimes, Sefyu n'est pas non plus la nouvelle icône acclamée par certains, loin de là. Juste un rappeur hardcore un peu différent des autres, sans doute en raison d'un parcours atypique : contraint par une blessure d'abandonner sa carrière de footballeur professionnel (il a joué un temps à Arsenal), il se reconvertit en animateur social dans les quartiers, avant de percer dans l'underground à coup de featurings bien sentis et d'une mixtape mixée par Kore et Skalp, Molotov. Une confrontation à d'autres cultures qui lui a selon ses propres mots, “ouvert l'esprit”… Mais pas limé les crocs ou adouci son flow pour autant, comme sa date à Pont-de-Claix devrait le confirmer.Sefyu le 21 février à la MJC de Pont de Claix


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