Un corbeau sur sa branche dansait

Scream and Whisper, pièce créée par le novateur chorégraphe japonais Saburo Teshigawara en 2005, flottera sur la scène de la MC2 pour bouleverser nos sens. Occasion de découvrir un créateur complet : chorégraphe, danseur, concepteur de lumières et de costumes, son approche de la création s'avère globale. Séverine Delrieu


Premier souvenir frappant, puis inoubliable du chorégraphe et danseur japonais en France : ses solos. Avec Absolute Zero (créée en 98 au Japon, et présentée en France jusqu'en 2002), premier choc : celui d'une danse fluide, dépouillée incarnée par un danseur à l'énergie vitale inépuisable et communicative écrivant une sorte de poème dans l'air. Ces solos transcendants, et le duo avec la danseuse Kei Miyata fascinent de par leur beauté : la lumière y est matière, travaillée par le chorégraphe à l'égal du geste. Le spectateur hypnotisé, ne s'extirpe alors que très lentement de ce rêve. Depuis, chaque passage de Saburo Teshigawara en France conquiert un public de plus en plus large. De prestigieuses compagnies européennes le sollicitent : pour le Ballet de Bavière il crée un Sacre du Printemps, pour Nederlands Dans Theater il écrit Modulation, Para-Dice pour le Ballet de Genève et enfin Air, qu'il écrit plus récemment pour L'Opéra National de Paris. des EspacesSes pièces, qu'il crée pour sa compagnie KARAS (qui signifie corbeau en japonais), sont cultes, pour certaines ; et elles tournent en Europe depuis les années 90. Light Behind Light, solo créé à Stockholm, puise son inspiration dans le rayonnement de la lumière boréale. Bones in Pages, (nouvelle version en 2003) est jouée par Teshigawara dans son installation Dance of Air. Enfin, après les solos, viennent les pièces de groupe pour sa compagnie. Luminous en 2001, dans laquelle neuf danseurs, dont Teshigawara, un danseur aveugle et l'acteur anglais Evroy Deer, évoluent dans un espace sculptée par la lumière. Les musiques, de Mozart et de compositeurs minimalistes, contribuent à rendre le voyage totalement absorbant. D'ailleurs, cette pièce condense magistralement la recherche esthétique du chorégraphe : la relation constante entre mouvements, lumière et son y est à son apogée. Les mouvements rapprochent les extrêmes : ralenti, rapidité, flots, resserrement, lâché, harmonie et chaos, douceur, explosion, fusion, solitude.de l'AirTeshigawara voit sa danse comme «une sculpture de l'air, sculpture de l'espace, sculpture du temps». Confirmation avec Green en 2003 qui mêle danseurs de KARAS, interprètes invités et des animaux vivants. Créée pour Montpellier Danse, cette pièce événement, était accompagnée par un live entêtant du groupe britannique SAND. Enfin Kazahana, (dont une nouvelle version fut dansée en 2005), s'inspire d'éléments hivernaux et offre des images forts poétiques. Pour tous ces souvenirs, pouvoir se frotter à Scream and Whisper dansée sur la scène de la MC2, s'avère une bénédiction. Saburo Teshigawara crée cette pièce en 2005 : de nouveau fondue dans les atmosphères humides et électriques du groupe SAND, la pièce alterne un passage pour six danseurs, un duo, puis de nouveau une pièce de groupe ; l'ensemble, une heure et demi, est sûrement constitué de mouvements d'influences multiples. Car Saburo Teshigawara, formé à la fois à la danse classique, mais aussi aux beaux-arts (ce qui inluencera considérablement sa vision de la création), s'approprie également les mouvements du traditionnel butô qu'il mêle aux mouvements contemporains. Des lumièresSaburo Teshigawara le chorégraphe, n'en est pas moins scénographe, créateur lumière, concepteur de costumes. De part sa prédilection pour les arts plastiques, il crée un spectacle dans sa globalité possédant une vision totale de ses créations. Ses scénographies sont de véritables installations lumières. Il conçoit notamment Light behind Light, pour l'exposition Lumière ! aux festivals Borderline de Maubeuge et Exit de Créteil en 2004. En 2002, il crée la pièce Oxygen dans un marché à bétails. Les expériences insolites, décalées, l'expérimentation animent sa démarche artistique. Il réalisera des films expérimentaux à partir de 2004. Toujours curieux, et à l'affût de nouveaux horizons, le chorégraphe originaire de Tokyo, qui danse depuis 1981, et fonde sa compagnie KARAS à la même époque, s'est imposé assez vite sur la scène internationale. Sûrement parce que son langage relève de l'universel : un espace gestuel dans lequel chacun pourrait se retrouver, se comprendre. Dans un documentaire sur le chorégraphe réalisée par Elisabeth Coronel, Saburo Teshigawara déclarait : «danser est beaucoup plus ordinaire que vivre. C'est quelque chose de très simple. S'il y a une chose qui initie la danse, c'est la respiration.» Assister à l'un de ses spectacles est effectivement retrouver un nouveau souffle.Scream and Whisper du 7 au 9 février à la MC2


<< article précédent
La Machine d’art