Autopsie d'une absente


Retour / Présentée dernièrement à la MC2, Atteintes à sa vie, pièce stupéfiante de Martin Crimp, semble avoir trouvé son metteur en scène. Joël Jouanneau, en faisant des choix de mise en scène radicaux et déstabilisants, procure à cette enquête-portrait une saveur violente dérangeante, obsédant jusqu'au vide. Qui est-elle celle qui court, gracieuse, sur un plateau rouge vif cernée par des messages qui montent vers l'insulte ? Anne. Aux mille vies, visages. À l'image du monde, elle est incertaine, elle est hypothèse. Crimp livre un texte bouleversant (sa manière de faire parler les autres pour raconter une femme est un défi), sous forme d'investigation sur cette figure féminine : en 17 plans-séquences (Anne est artiste, terroriste, fanatique, suicidaire, Anne mère, Anne guerrière, Anne enfant, Anne joue dans des pornos), de Berlin à Paris, Guantanamo, jusqu'aux Balkans, ces scènes autopsient la violence du monde actuel et la médiatisation qui en est faite. Neuf comédiens étonnants d'énergie et d'inventivité de jeu (ils chantent et dansent aussi), s'emparent littéralement d'un plateau qu'ils transforment au fil des scenarii de Crimp, comme des joueurs redistribueraient inlassablement les cartes. Joël Jouanneau réussit à maintenir une fascination constante pour cette proposition, car il joue en permanence sur les mélanges des genres : on passe d'une scène virtuose de reconstitution de police (servie par un imparable Columbo qui devient tortionnaire paranoïaque lors d'une scène de torture dans une zone de non-droit), au concert rock, au reality show (une caméra filme continuellement les êtres), à une scène de vente d'un produit (une jeune femme) par d'autres hommes, une scène où des critiques d'art commentent les œuvres d'Anne. Le burlesque flirte avec la violence, rendue de ce fait plus intolérable, car soudaine. On plonge dans l'intimité arraché par l'image, et la perversion, l'horreur grandissantes prennent à la gorge.Séverine delrieu


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