L'intime et le réel

L'univers théâtral de Joël Pommerat, auteur et metteur en scène est tout simplement unique. Ses écrits, indissociables de ses mises en scènes, s'ancrent profondément dans notre monde. À la MC2, on découvrira son adaptation du Petit Chaperon Rouge. Séverine Delrieu


Pommerat commence à écrire en 1985. Il a 22 ans. Et son processus d'écriture dramatique est d'emblée vraiment singulier. Avec le recul, on a envie de dire d'une justesse absolue. Effectivement, son travail d'écriture ne se dissocie pas de celui de la mise en scène : il se prolonge durant les répétitions grâce aux échanges avec les comédiens. Il se modifie aussi, s'enrichit, aux frottements avec la scénographie, les lumières et le son. Ce qui souvent dans ses spectacles donne une alchimie envoûtante entre texte, espace, corps, gestes, voix. Pour bien comprendre, l'auteur arrive le premier jour des répétitions avec un matériau écrit, une base, qui se malaxera, se métamorphosera au fur et à mesure du travail scénique grâce à une recherche commune. Pommerat croit vraiment au concept de compagnie, au sens de compagnonnage. Et fonde naturellement en 90 La Compagnie Louis Brouillard. Tous ses projets sont écrits pour et en pensant aux comédiens avec lesquels il travaille maintenant depuis 10 ans. Le temps, (autant celui de la répétition que celui nécessaire à la relation fidèle et profonde), est une notion fondamentale dans l'élaboration de ses spectacles. Ceux-ci prendront vie, dans un premier temps, au Théâtre de la Main d'Or à Paris en 90. Son univers mystérieux, à la fois réel et intemporel qui en émane, sera relativement vite repéré.

Cruauté sourde

Le Théâtre Paris-Villette, représenté par un directeur vraiment découvreur, fait confiance à Pommerat en 97 et programmera bon nombre de ses spectacles (notamment Mon Ami). Il a entre autres déjà écrit et monté depuis 1990 Le Chemin de Dakar, Le Théâtre, Vingt cinq années... Des textes qui puisent déjà profondément dans notre actualité et décrivent un monde où la cruauté s'infiltre dans des voix intimes. La famille sauvage, primitive sous des apparences saines, y est déjà fort présente : les liens familiaux s'expriment par gestes sournois d'une violence sourde. Pommerat retourne et invente des personnages vraiment complets, singuliers, passionnants. Toujours en 97, le partenariat avec Paris-Villette se double d'une résidence très féconde au Théâtre de Brétigny-sur-Orge. Mais c'est en 2004, avec l'étonnant texte Au Monde, que son travail rayonne dans les théâtres français et étrangers. La consécration a lieu l'été dernier au Festival d'Avignon avec la présentation du triptyque Les Marchands, Au Monde et Le Petit Chaperon Rouge. Grande joie de découvrir sa réécriture de ce mythe si connu. À n'en pas douter, ce spectacle destiné en priorité aux enfants, offrira les mêmes qualités visuelles et de propos que ses autres spectacles : une mise en scène rigoureuse, où le geste y est aussi précis que les mots.

Le Petit Chaperon Rouge, du 21 février au 3 mars, à la MC2


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