Les gens de Tchernobyl


Théâtre / Le texte La supplication de Svletlana Alexievitch déclenche des émotions intenses. C'est ce qui s'est produit pour la comédienne Nicole Vautier : à la lecture du recueil, l'évidence d'en donner sa vision et de passer à la mise en scène s'est imposée. Évidence qu'a également vécu Valérie Clément qui signe la vidéo et les images du spectacle, tout comme Anne Auberjonois, la scénographe. Le trio s'est trouvé réunit par le désir de donner à entendre ce livre bouleversant. D'abord parce que l'écrivain et journaliste russe Svetlana Alexievitch a réécrit dans une langue à la fois immensément poétique, lyrique mais aussi crue et violente les témoignages précieux des rescapés de Tchernobyl. À partir des récits des liquidateurs (personnes qui ont au péril de leur vie éteint le feu dans le réacteur de la centrale qui explosa en 86), paysans, enfants, passants, habitants de la bourgade, Alexievitch a écrit une succession de monologues, 88 voix au total, racontant leurs vies faites d'amour, de maladies, de mensonges et gangrenées par une terre morte. Alexievitch procure une voix, une existence à ces parias. Nicole Vautier, après avoir sélectionné quelques voix, a choisi d'en faire des sortes de revenants (toutes les victimes présentes dans le texte sont mortes aujourd'hui), fantômes venus narrer leurs supplications à la vieille dame posée à l'avant-scène. Personnage symbolisant la mémoire, le réceptacle des vies broyées tout comme l'a été l'auteur. Sur scène les 18 comédiens, pour la plupart amateurs racontent : des femmes amoureuses évoquent la lente maladie de leurs compagnons après la radiation ; une jeune fille seule apparaissant sur la vidéo s'adresse à nous et s'émeut de cette catastrophe. Les films tournés en extérieur font revenir l'Ukraine, le passé, que les fantômes regardent hagards. Malgré un décor qui aurait pu se suffire d'un écran ainsi et d'une musique enregistrée quelques fois redondante, l'intensité des situations transperce et nous émeut toujours.Séverine DelrieuLa supplication jusqu'au 11 novembre, au Théâtre 145


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