«Rencontrer le désir des comédiens»

théâtre / Alors que débute la 10e édition de l'Hommage à l'Acteur où langues d'auteurs rejoignent celles d'intenses comédiens, Michel Belletante, directeur artistique et metteur en scène, pose un regard sur les 10 ans de la manifestation pour mieux envisager son avenir. Propos recueillis par Séverine Delrieu


Comment avez-vous procédé pour établir le contenu de cette édition ?Michel Belletante : Elle provient de discussions à bâtons rompus avec des comédiens qui ont eu envie à un moment donné de travailler sur un texte. Maintenant L'Hommage est connu, donc on reçoit beaucoup de propositions. Je fais le tour, je regarde et j'essaie de travailler avec ce qui m'intéresse le plus, c'est-à-dire avec des textes d'auteurs contemporains. La seule chose que je m'étais mise en tête c'était d'avoir des femmes - car l'année dernière on m'avait fait le reproche que L'Hommage devenait macho puisqu'il y avait plein d'hommes. Cette année, il y a 6 femmes pour 4 hommes. 10e édition : s'il y avait un bilan a faire, quel serait-il ? C'est important les bilans, car c'est à partir de l'existence que l'on construit ce qu'il y a derrière. Ce que j'ai aimé, c'est rencontrer le désir des comédiens pour qui cet Hommage à l'Acteur, représente vraiment une occasion qu'ils ont rarement. Très souvent les comédiens sont pris dans des distributions, dans le regard d'un metteur en scène, dans une équipe, tandis que là, je m'adresse à des électrons libres qui ont des projets en tête. Je pense à Hervé Briaux à l'Odéon qui avait vraiment cette envie de créer un texte de Thomas Bernhard et Lavaudant ne lui a pas donné les moyens de le faire ; il est venu le faire ici, du coup Lavaudant a aimé et il a fait un triomphe à l'Odéon après. J'ai alors le sentiment de proposer un lieu nécessaire pour les comédiens. Par contre, ce que je n'ai pas aimé, et ce pourquoi je me bats pour le futur, c'est d'être obligé de renoncer à des projets magnifiques simplement parce qu'un acteur n'est pas libre dans la période donnée de L'Hommage qui va du 10 au 30 octobre en gros. J'ai envie de garder cet espace de liberté pour les comédiens, de jouer plus longtemps, de ne pas m'inscrire forcément dans des tournées, je voudrais garder l'enjeu de la première fois. L'Hommage sera donc en mutation pour l'année prochaine ? Il faut qu'on y réfléchisse avec toute l'équipe. Mais beaucoup de comédiens qui viennent et qui doivent se plier à la règle du jeu qui consiste à arriver le matin et jouer le soir, ne convient pas à tous. Il faudrait que l'on puisse prévoir 4 ou 5 jours de répétitions pour sortir la chose unique. On va essayer de maîtriser mieux le calendrier sur toute la saison, on va donner des rendez-vous au cours de l'année sous cette bannière là, plutôt que de les condenser sur 10 jours. Quelles sont vos craintes par rapport à ces nouveautés ?Ce qui est compliqué, c'est que l'option festival a une visibilité. Et je crois que cela, on va le perdre. Mais au-delà de la reconnaissance ou du symbole, je crois que c'est mieux de proposer aux comédiens et donc au public, des rendez-vous plus rares mais plus exceptionnels. Car les gens ne peuvent tout voir en dix jours. La difficulté c'est qu'on a plafonné en terme de public : c'est difficile de maintenir 10 soirées avec une jauge remplie tous les soirs. Et ce n'est pas une question de notoriété, car je me souviens de Jean-François Balmer, un grand comédien, qui n'a pas fait le plein. C'est embêtant car pour les institutionnels financeurs, ces dix jours sont un point de repère simple, et puis ça leur ouvre des lignes de financements qui sont différentes. Donc là, je prends le risque de diluer un petit peu la ligne. Avec Jeanne, un texte que vous avez écrit et mis en scène à partir du personnage de Jeanne d'Arc vous, ouvrez cet Hommage. Pourquoi cette passion ? Il y a des éléments qui nous bougent dont on est pas toujours maître. Le premier élément vient d'une visite à l'église à Savigny-sur-Orge : j'y ai vu une statue de Jeanne d'Arc qui avait un énorme trou au pubis. Je l'ai photographiée. Bizarrement, après, j'ai tout lu la concernant. Au bout d'un moment, j'ai écrit plusieurs textes. Celui qui j'ai gardé est un monologue ou j'ai essayé d'écrire la dernière nuit de Jeanne d'Arc, celle où Pierre Cauchon (l'évêque qui la fit brûler) vient la voir, et je crois que cette dernière nuit s'est mal passée... J'avais pensé à Maurice Deschamps pour le rôle, mais il est malheureusement mort cet été. J'avais échafaudé une sorte de fil conducteur qui serait le rapport du comédien avec son deus ex machina, le metteur en scène. Au final, on suit le cheminement d'une comédienne qui cherche et qui est habitée par Jeanne d'Arc : on voit le moment de la répétition et le moment du jeu. L'Hommage à l'Acteur jusqu'au 20 octobre, à l'Amphithéâtre de Pont-de-Claix


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