«Don Juan vit avec un héritage d'irresponsabilité»

Comédien, metteur en scène, fondateur du Teatro Malandro, Omar Porras s'est saisi du mythe de Don Juan en partant du texte de Tirso de Molina. Propos recueillis par Séverine Delrieu


Pourquoi être revenu au texte source, celui de Tirso de Molina ?Omar Porras : D'abord, il me semble intéressant de revisiter les mythes, et, quand il s'agit de reprendre un mythe, c'est plutôt de retrouver, effectivement la source. Molière, Mozart, Byron : il y a énormément d'auteurs qui ont écrit autour de Don Juan. En France il existe un mythe qui est celui de Molière, mais il y a toute une palette de sources qui a influencé le théâtre français qui vient du siècle d'or espagnol, dont Tirso de Molina. On a décidé de le revisiter, de le travailler car il nous semblait tout à fait important de faire résonner cette époque un peu oubliée.Don Juan est un personnage jeune à l'image de Sganarello dans votre pièce. Comment vous est venue cette belle vision de l'œuvre, du personnage et plus largement de l'homme ?Je pense que le choix vient de ma méthode de travail avec mon équipe. Nous ne partions pas sur des certitudes, nous avons cherché, étudié des formes qui se présentaient au fur et à mesure des répétitions. On a constaté à un moment donné de la création que Don Juan n'était pas cet homme prétendu ou qui prétend connaître toutes les femmes et avoir un certain âge ou une certaine rigueur déjà refermée sur son expérience. On a découvert que Don Juan est un homme qui découvre aussi la vie et vit avec un héritage d'irresponsabilité qui lui a été transmis.Avant la création de vos pièces vous n'avez pas d'idées préconçues : vous élaborez à partir des propositions des acteurs. Justement comment cette pièce a émergé ?En laissant la possibilité aux acteurs de proposer ; en guidant l'acteur là où il ne va pas souvent : c'est-à-dire que quand on fait une distribution figée au début des répétitions, on va déjà avec une image que l'acteur peut donner une certaine chose sur le rôle. Alors que chez nous, on laisse à plusieurs acteurs la possibilité de montrer les différentes couches et le spectacle se construit.C'est pour cela que tous les acteurs ont essayé tous les rôles pour El Don Juan ?Oui. C'est de là d'où vient la richesse. Vous vous nourrissez et mélangez plusieurs traditions théâtrales, japonaises, indiennes, masques (entre autres) que vous croisez avec une pratique théâtrale contemporaine. Est-ce bien cela d'ailleurs, votre manière de travailler ?Oui. Mais je ne dirais pas que je mélange les traditions car il ne s'agit pas d'inventer quelque chose de nouveau. Nous avons étudié pendant des années des techniques qui nous ont été transmises. Ensuite, on ne tente pas de les reproduire : ce sont des matériaux qui sont utiles aux acteurs d'aujourd'hui. Avec leur formation actuelle se crée alors une rencontre, un dialogue, un métissage plus qu'un mélange.Vos mises en scène sont baroques, foisonnantes et d'une extrême précision.Le Baroque est précis et d'ailleurs, je ne prétends pas en faire du baroque. L'image qui saute aux yeux du spectateur est éloignée de l'image traditionnelle qu'on a du théâtre, même si ce n'est pas une nouveauté, c'est une richesse qui peut paraître exubérante. Elle existe dans la peinture d'hier et d'aujourd'hui. Et c'est vrai que je m'inspire beaucoup de la peinture, élément de richesse qui nourrit mon imaginaire. La rencontre de tous ces arts avec la danse, la musique font que cela semble une explosion de débauche mais c'est une harmonisation de tous ces éléments, de tous ces langages qui font un langage particulier. Je crois que c'est cela notre aventure, l'expérimentation.Vous vous sentez proche du travail de Roméo Castelluci ou de celui de Mouchkine. Est-ce pour les raisons évoquées juste avant ?Entre autres. Il y a quelque chose de familier avec l'univers de Roméo Castellucci. C'est quelqu'un qui puise dans la peinture aussi et dans l'onirisme.Vous puisez beaucoup dans la littérature espagnole. Y'aurait-il des auteurs d'aujourd'hui que vous auriez envie de monter ?Oui, des Sud Américains, Australiens, Africains, Américains, Français. Je ne suis pas un spécialiste d'un type de théâtre. Je viens de monter Dürrenmatt, un auteur contemporain, j'ai monté Jarry, Shakespeare. Certes mes origines sont latino américaines, mais je ne suis pas focalisé sur ces auteurs. J'aime le théâtre. Point.Vous avez créé le Teatro Malandro en 90 à Genève. Aujourd'hui, avez-vous un lieu pour votre compagnie ?Nous sommes toujours à la recherche d'un lieu. Mais malgré les difficultés, la compagnie continue de tourner. Nous avons le bonheur de voyager beaucoup avec nos spectacles, c'est ce qui fait notre richesse. Nous pouvons confronter notre travail à de grands publics. C'est un bonheur de revenir à Grenoble où nous sommes déjà venus il y a 7 ou 8 ans avec Noces de Sang (Federico Garcia Lorca) et c'était déjà une rencontre formidable. Aujourd'hui, nous sommes de retour à la Maison de la Culture. Ce sont des voyages qui nourrissent notre univers, notre monde.El Don Juandu 10 au 14 octobre, à la MC2


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Omar Porras