To mix or not to mix

Critique / Choix audacieux pour un début de saison, la création de la compagnie l'Unijambiste réconcilie avec talent les fans de Shakespeare et d'électro hip hop. Même si l'expression est galvaudée, on serait tenté de qualifier Hamlet Thèmes & Variations de spectacle total, tant l'alchimie des formes sert une vision subtile de l'antique tragédie. François Cau


Hamlet version abstract hip hop ? Après tout pourquoi pas : du Roméo queer refoulé de Baz Luhrmann au Richard III crypto-fasciste de Richard Loncraine, le 7e art a tellement dévoyé le pauvre Shakespeare à la sauce post-moderne qu'on n'en est plus vraiment à ça près. En même temps, l'intitulé est clair : Thème & Variations, un jeu annoncé sur le texte et surtout la substance sonore, l'un des axes majeurs de la création.

En homme avisé, David Gauchard s'est entouré d'un casting de rêve. Prenant pour base la nouvelle traduction du texte, signée André Markowicz, le metteur en scène s'est adjoint les services d'un trio létal pour sa bande-son : Tepr, My Dog is Gay (le duo d'Abstrackt Keal Agram) et le non moins grandiose Robert Le Magnifique (voir ci-dessous). De superbes compositions, à même de survivre à la création de façon autonome, vaillamment soutenues par les flows des comédiens (parmi lesquels on retrouve Arm, MC de Psykick Lyrikah, et par ailleurs auteur des excellents “interludes“ condensant la narration). Ajoutez à cela une contribution plastique de la marionnettiste Émilie Valantin (Philémon et Baucis, Les Castelets en Jardin), et vous obtenez un projet presque trop prometteur.

To mix !

Mea Culpa : on s'attendait tellement à un énième "coup" théâtral qu'on fut, à l'instar du MC de l'Hexagone Antoine Conjard, extrêmement surpris. Choc de voir débouler des comédiens en "uniformes" jeans / t-shirts / baskets, de la présence d'un DJ à même le plateau, de tant d'autres libertés scéniques à ce point inattendues qu'elles nous abreuvent jusqu'à l'ivresse. La scénographie, relativement épurée, ne vise pas l'épate, fait évoluer ses personnages au sein de formes géométriques, les fait interagir efficacement avec les supports vidéos.

Se réappropriant la rythmique particulière de la traduction de Markowicz, David Gauchard a su doser l'alternance entre un phrasé quasiment slammé et les morceaux à part entière, ces derniers offrant à la pièce nombre de ses meilleurs moments. La somme de talents réunis, loin de se phagocyter, crée au contraire une émulation parfaite. Le look est nouveau, la langue change mais l'irrésistible désespoir de l'œuvre demeure intact, voire transcendé. Si on avoue volontiers une faiblesse pour la performance intense de Arm, on ne peut que louer l'ensemble de la distribution, liant essentiel à la bonne marche de cette véritable claque artistique. Pour faire mentir le grand William, on dira que le temps de la représentation, il y a quelque chose de magique au Royaume du Danemark…

Hamlet/Thème & Variations, du 10 au 13 octobre à 20h, à l'Hexagone (la représentation du 11 octobre sera suivie d'un DJ set de Robert le Magnifique, dans le cadre de Rocktambule)


<< article précédent
L’UNIJAMBISTE