«Conteur, sociologue, guide, comédien»

Théâtre / Fidèle à leurs paroles, Ali Djilali-Bouzina restitue des récits d'immigrants dans “Voyages”, une trajectoirespectacle pour mieux comprendre l'autre. propos recueillis par séverine delrieu


Pour Voyages, vous avez interviewé des habitants de la Villeuneuve sur la question de l'exil.Ali Djilali-Bouzina : Au départ de cette idée, il y a le propre parcours de ma famille algérienne, installée dans un petit village d'Alsace. À travers les histoires des autres, j'ai voulu aussi parler de mon histoire. Ce parcours de l'immigration, je l'ai étendu aux français de souche qui quittent leurs régions d'origine : les bretons ou les normands eux aussi peuvent ressentir la difficulté d'être loin de leur pays. J'ai mis en parallèle immigration interne et immigration vers un autre pays, et j'essaie de parler de la manière dont on s'intégre à la région d'accueil. Dans ce parallèle ressort quelque chose de commun : le parcours de l'être humain. Dans la région, pays d'accueil la vie continue : on trouve du travail, on y fait des rencontres amoureuses. Se retrouver à un endroit, c'est le point commun à tous. Comment avez-vous rendu ces témoignages théâtraux ?Voyages est une conférence-spectacle. Dans l'introduction, j'explique ce que j'ai fait à la Villeuneuve. C'est une partie théorique. Dans la 2e partie, je retrace le parcours de l'habitant rencontré et je l'incarne de l'intérieur. Je rejoue l'histoire des gens en donnant un panel de français, maghrébins, africains... Je tente de sensibiliser les gens à la difficulté d'être loin de chez soi. Dans une 3e partie, Valise, j'expose 15 valises pleines d'objets, de photos appartenant à ceux dont je n'ai pu raconter l'histoire. Et je montre qu'un lien perdure, d'une manière ou d'une autre avec le pays d'origine. Quelques fois, des personnes exilées n'ont pas d'objets souvenirs, ça aussi je le raconterai. Plus largement, le spectacle est là pour faire tomber quelques préjugés. Par exemple qu'il n'y a pas que des immigrés ouvriers mais aussi des intellectuels. Des gens quittent des vies parce que le contexte politique, social ne leur permettent pas de faire autrement. Ces parcours ne sont pas faciles. En tout cas, j'ai interrogé beaucoup de gens nés ici de la 1e, 2e, 3e générations qui disent tous : "on a beau être français de papier, il y a toujours un regard de l'autre qui vous renvoie à vos origines." C'est aux autres de changer leur regard sur nous. Vous êtes une sorte de conteur.Oui conteur, sociologue, guide, comédien. J'ai envie de guider les gens à l'intérieur des personnes rencontrées. Le spectacle n'est pas une fin : c'est un moyen de sensibiliser les gens aux problématiques de l'autre, à celui qui est différent. Et je constate que beaucoup ont besoin de se dire, de pouvoir partager ces expériences au fond très communes. Je constate aussi que ceux qui ont beaucoup changé d'endroit, sont plus sensibles à l'autre.Voyagesdu 3 au 4 octobre à 19h30, le 5 octobre à 20h30, à l'Espace 600


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