La passivité est un crime

Entretien / À bord du bateau Esperanza, un criminel de guerre s'échappe vers Caracas, alors que d'autres personnages romanesques et irresponsables vomissent et bavassent. Zanina Mircevska, jeune auteure macédonienne, livre “Esperanza”', une pièce dont le fond donne mal au cœur mais que l'humour allège. Propos recueillis (par mail) par Séverine Delrieu


Esperanza mélange différents genres, opérette, tragédie, films d'espionnage, soap opera, ce qui lui confère beaucoup d'humour.Zanina Mircevska : Quand j'ai écrit cette pièce, je n'ai pensé ni au style, ni à la forme qui sont maintenant évidents et identifiables. Ce mélange n'est ni conscient, ni une coquetterie calculée. Je crois que cette structure, cette forme sont la conséquence du sujet traité dans ma pièce : à savoir que des catastrophes se produisent sous nos yeux, alors que nous continuons à vivre dans le monde protégé des soap operas, des films d'espionnage, science-fiction, dessins animés. Un monde protégé par des illusions. La plupart des gens ne consomme la réalité qu'à travers la fiction. Des corps massacrés sur l'écran de télé ne sont que des images comme celles des films d'horreur que l'on consomme via le même écran. La réalité est tellement atroce, que la plupart des hommes ne peuvent la soutenir. Ils ont besoin de moyens pour la décoder. Avec le langage trivial et familier des médias, Esperanza tente de dépeindre à ceux qui ont les yeux fermés, la gravité des crimes de guerre et de toutes les atrocités. Je voudrais qu'Esperanza soit comme un cadeau dans lequel se cache la catastrophe, enveloppée d'un papier rutilant.Certaines phrases se répètent comme un leitmotiv et donne un rythme au texte : celui du balancement du bateau.Le rythme dans ce texte est très important. J'ai essayé de produire une sorte de musique. Cette beauté musicale vient contraster avec l'horreur de la situation et produit de l'humour. L'horreur et la terreur du crime sont comme chantées.Les passagers ne savent que faire de ce criminel de guerre et fuient leurs responsabilités.C'est la raison cruciale pour laquelle j'ai écrit cette pièce. Le plus grand crime est celui de la passivité de ceux qui savent et ne font rien. Esperanza n'est pas une pièce uniquement sur les crimes de guerre mais plus sur les crimes non jugés dans une micro et macro sphères. Famine, pauvreté, illetrisme, obscurantisme, chômage sont les fruits d'une sorte de crime du quotidien. La passivité est le problème de notre société : la population “marine” dans la consommation et le matérialisme et quand la catastrophe se produit, elle est impuissante.Esperanzalecture par Troisième Bureau, le 18 mai à 20h suivi du café des auteurs en présence de l'auteure, de Sarah Fourage et de Maria Béjanovska.


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