«Le théâtre a été balayé du champ de la critique»

Théâtre / André Wilms, comédien emblématique de théâtre et de cinéma, porte les textes d'Elias Canetti dans un projet de théâtre musical dont seul Heiner Goebbels a le secret. Au détour d'un entretien sur “Eraritjaritjaka”, le comédien Évoque ses doutes justifiés sur la critique théâtrale. Propos recueillis par Séverine Delrieu


Eraritjaritjaka a été créé en 2004, une tournée a suivi. Qu'est-ce qui vous semble avoir évolué dans ce projet ?André Wilms : Ce qui a évolué c'est qu'il a gagné en simplicité. L'idéal c'est toujours d'être évident dans la façon dont on dit le texte, dont on se meut ; l'effort a disparu, on s'est débarrassé du travail, de la gangue. À présent, c'est presque fait de la main gauche, comme une esquisse. On s'est débarrassé de son sérieux, ça a pris une liberté par la simplicité et cela le temps le donne, car il supprime la peur. Moi, j'ai musicalisé encore plus le texte.C'est votre troisième collaboration avec le metteur en scène compositeur Heiner Goebbels. Que vous apporte de particulier le travail avec lui ?D'abord, je n'avais pas beaucoup de sympathie pour le théâtre musical et pour ceux qui essaient de faire du fusionnel. Je me méfie de ces tentatives d'œuvres d'art total. Mais lui, je crois qu'il met très bien en scène la musique et les mots, il ne tente pas de les amalgamer, de les réduire au plus petit dénominateur commun de chacun, il arrive à garder une autonomie et à donner quand même une harmonie à l'ensemble. Il dit souvent «un projecteur est aussi important qu'un comédien», et c'est vrai : la lumière a un sens, la musique a un sens et il arrive à faire avec tout cela une vraie cohérence.Vous avez aussi un long parcours de metteur en scène. On pense à Pulsion de Kroetz ou La Conférence des oiseaux. Aujourd'hui quel texte auriez-vous envie de monter ?En ce moment, j'ai des doutes sur le théâtre.Pourquoi ?D'abord parce que je pense qu'il a été balayé du champ de la critique. Le théâtre qui m'intéresse a définitivement disparu de la presse, de la télévision, de la radio, à part à 3 heures du matin sur Arte dont je suis un spécialiste (rires).Quel est le théâtre qui vous intéresse et qui semble avoir disparu ?Disons le théâtre d'Art. Un théâtre qui voulait transformer le monde, qui l'interrogeait.Il y a encore des metteurs en scène qui s'en inquiètent, je pense à Sobel, Rodrigo Garcia et d'autres...Oui, il reste quelques petits groupes, mais je veux dire qu'il n'a plus de visibilité, il a disparu de toute forme médiatique. Et se battre contre cela est extrêmement difficile. Je suis dubitatif et je commence à être un peu fatigué de lutter contre des moulins à vent. Le travail qu'on fait n'est plus relayé nulle part ; il n'y a plus d'appareil critique qui accompagne le théâtre. Le cinéma a été un peu accompagné à un moment donné par Daney et aujourd'hui il est aussi abandonné. Je suis un pessimiste léger. C'est peut-être dû à un phénomène d'usure (rires). Je n'ai pas la prétention de détenir une quelconque vérité, mais je pense qu'il y aussi une disparition du public, on ne peut pas continuer à faire semblant de ne pas croire que notre public vieillit. Il y a aussi des phénomènes que le théâtre n'a pas encore bien analysés, par exemple la rapidité qui s'est mise en place alors que le théâtre est un art lent, où l'ennui joue un rôle, où il faut écouter, hors là, tout va très vite. La multiplication des chaînes de télé, la haute-fidélité ont entraîné une autre façon d'écouter beaucoup plus fort et plus vite. Mais cela ne sert à rien de se plaindre, c'est comme cela. Mais n'est-ce pas dommage de baisser les bras ?Je laisse à la nouvelle génération le soin de prendre la relève (rires). Il y a beaucoup de jeunes gens qui font des choses passionnantes. Moi, j'ai récemment monté Les Bacchantes à la Comédie française qui est une pièce contre la religion, mais je crois qu'aujourd'hui, il faut laisser la nouvelle génération prendre cela en mains. Par contre, j'accompagnerai volontiers dans leurs plus folles expériences tous jeunes gens qui se présenteront à moi en essayant de faire exploser quelque chose.Eraritjaritjaka , Musée des phrasesdu 22 au 24 mars, au Grand Théâtre de la MC2


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