L'ignorance en partage

Danse / en peu de temps; le jeune chorégraphe flamand d'origine marocaine Sidi Larbi Cherkaoui a imposé son univers baroque sur les scènes internationales. “Loin” brasse réflexions et petites théories sur l'humain, la multiculturalité, l'autre. Propos recueillis par Séverine Delrieu


Comment est née cette chorégraphie pour le Ballet de Genève?Sidi Larbi Cherkaoui : C'est le Ballet qui m'a proposé ce projet après avoir vu Foi. Je suis arrivé là comme l'étranger au milieu de la communauté déjà existante. J'ai fait ensuite des interviews de quelques danseurs. C'est comme cela qu'Olivier, un des danseurs m'a raconté son voyage en Chine. Son propos était un peu raciste, il généralisait, disait que la Chine était sale... Les gens parlent souvent d'une manière générale et ont des tendances racistes. Après, quand j'ai gardé cet extrait, Olivier est revenu sur ses propos et ne voulait pas que je les garde. Donc, la protagoniste est devenue Fernanda qui vient du Brésil, qui est black et qui parle de la Chine comme étant quelque chose de sale. D'autres pourraient parler du Brésil en disant la même chose ! Je trouvais cela marrant de jouer ce jeu de l'échange. De montrer que tout le monde parle avec une grande ignorance. C'est très rare la personne qui a l'humilité de dire “je ne sais pas”. On apprend à avoir toutes les réponses, à avoir une opinion sur tout, très peu de gens disent, “je ne sais pas ce que je pense”.C'est ce que vous avez exploré avec les danseurs?Entre autres. On se fait très vite des repères quand on est petit. On croit que c'est les seuls repères qui existent par rapport à l'esthétique, la morale, la beauté. On ne les remet pas en question. Moi ce qui m'intéressait c'était d'apprendre le code des autres. C'est pour cela qu'il y a un univers occidental, oriental et l'endroit où cela se rejoint. Puis il y a l'esthétique arabisante dans les décors, les costumes japonais et la musique occidentale du 17e. Ces éléments vont très bien ensemble et créent un univers surréaliste, une forme de fantaisie. Il y a un côté nord, sud, est, ouest que j'avais envie d'avoir dans le spectacle. J'avais envie de créer Le Monde avec ces danseurs. J'aime l'idée de pouvoir coexister ensemble et de se rendre compte qu'on est pareils. On voit chez chacun de ces mondes qu'il y a la même ignorance de l'autre.En 2002 vous avez créé Ook avec des danseurs handicapés...J'ai beaucoup appris et je me suis fait beaucoup d'amis. Je chéris de plus en plus les gens qui sont différents de moi, et plus je les approche plus je les découvre semblables à moi. On a tous les mêmes angoisses, peurs, il y a une machine humaine qui fonctionne partout pareil. Après, il y a des différences de couleurs, de tons. Je me suis dit que peut-être travailler avec des handicapés ce serait échapper à l'humain mais pas du tout : ils sont pareils que nous. La seule différence est la relation aux émotions primaires. Chez eux elle est intense. Alors que nous nous en éloignons, à tel point qu'on ne sait plus qui on est. Avec eux c'est impossible.Loinpar le Ballet du Grand Théâtre de Genèvele 26 janvier à 20h, à la RampeÀ lire : “Sidi Larbi Cherkaoui, Rencontres” de Joel Kérouanton (L'oeil d'or).


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Je glisse du lit