Aveuglement


Si vous nous suivez un brin, vous avez dû vous en rendre compte : on suit avec fidélité le travail de Bruno Thircuir et de la Fabrique des Petites Utopies. Non pas pour de basses turpitudes extraprofessionnelles (quoique), ni pour notre potentiel amour immodéré de formes théâtrales un tant soit peu iconoclastes. Disons que le fil commun qui nous séduisait le plus, dans Quichott, Juliette je Zajebala Romeo et dernièrement Manque, greffon providentiel de son présent travail sur l'auteur culte Sarah Kane, c'était cette instabilité manifeste que le metteur en scène et son équipe parvenaient à transformer en force. À la grâce d'un enthousiasme indéfectible, mais aussi à une sorte d'ingéniosité du désespoir donnant lieu à de beaux instants de théâtre, à un pessimisme étouffant sur une nature humaine confinée à ses plus bas instincts. C'est pour toutes ces raisons qu'on attendait 4.48 Psychose avec une expectative confiante, d'autant que le stress véhiculé par Manque nous avait pris à rebrousse-poil. Cette nouvelle création nous fait entrer dans un nouveau décor sis au sein du camion-théâtre, inverse de la sombre alcôve de Manque, où le spectateur est carrément aveuglé par la blancheur faussement immaculée du lieu. La promiscuité avec les comédiens, dans cette clarté, atteint son but et vous gêne illico. Le texte, d'une puissance inouïe, se noie malheureusement dans certains partis pris volontairement outrés du metteur en scène, dans sa projection fantasmatique à l'intérieur de cet univers. Sa fascination pour les corps des deux interprètes donnent occasionnellement lieu à de belles images, mais le fragile équilibre se rompt, donne l'impression de se faire abuser. 4.48 Psychose est notre première dispute avec les Petites Utopies, comme si ce travail, a priori moins impromptu, moins chaotique nous enlevait le plaisir de la séduction. FC

4.48 Psychose, du 11 au 13 janvier à 20h30, à l'Odyssée d'Eybens


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