La danse de mort

Ambitieux galop d'essai du Nouveau Théâtre de Création, l'adaptation de “Manque” de Sarah Kane marque le retour de la Fabrique des Petites Utopies à une forme nécessairement plus intime. François Cau


Passé le chaos debout de son Juliette je Zajebala Romeo, la Fabrique des Petites Utopies fait une nouvelle fois muter son lieu de création ambulante (le Theatrum Stadium). L'espace scénique s'est replié sur lui-même, s'est recroquevillé en une carapace à jauge violemment restreinte. L'équipe s'est réduite, elle aussi. Le metteur en scène Bruno Thircuir, sans renier les affres de son précédent spectacle, apprécie plutôt la tournure des événements. Son nouveau coup de foudre théâtral appelait nécessairement une forme condensée, un travail approfondi avec les comédiens. L'objet du délit ? Le texte 4.48 Psychose, de l'auteure anglaise Sarah Kane, étoile filante du New British Theatre, partie beaucoup trop vite après nous avoir asséné une poignée de textes mordants, choquants, vibrants. Jouissant de l'accueil enthousiaste du Nouveau Théâtre de Création, les Petites Utopies se sont vues encouragées dans l'élaboration d'un dyptique, la pièce Manque (Crave en VO) apportant un complément précieux dans l'appréhension de l'œuvre de Sarah Kane, et surtout sur sa relecture par le dénommé Bruno Thircuir.

Intime en fusion

Ce dernier commence par enfermer son spectateur dans un espace circulaire à l'éclairage incertain, improbable peep-show intimiste au centre duquel se dresse un monticule de terre. À un mètre tout au plus des comédiens, piégé au cœur d'un huis clos mental polyphonique virant parfois à la cacophonie contrôlée, le vertige prend à l'occasion, le temps de tableaux faisant résonner les mots de Kane avec une belle impudeur. Les comédiens, figés dans leurs archétypes (amants, mère, enfants...), s'emparent de la musicalité originale du texte, la triturent pour la vider de son non-sens. Les quatre voix originales ne sont plus que trois, grattent la terre, violent le public de leurs interpellations, s'entrechoquent, circulent en cercles sans fin. Les partis pris les plus casse-gueules pourraient faire sortir du spectacle à n'importe quel moment, mais le cloisonnement des lieux vous rappelle sans cesse au malaise de ces trois silhouettes. Le jeu de lumière accentue l'abstraction rigoureuse de la mise en scène, seul le fond sonore musical (signé Philippe Kodeko) se hasarde à souligner l'émotion directe de certains instants. Plus qu'une mise en bouche ou une simple note d'intention pour patienter jusqu'à la création de 4.48 Psychose (du 11 au 13 janvier à l'Odyssée d'Eybens, pour commencer), Manque recentre le travail de la Fabrique des Petits Utopies sur l'humain, dans tout son désespoir fragilisé. Et on reconnaîtra aisément que pour un lancement de saison, il fallait oser.

Manque, les 17 et 18 novembre, au Nouveau Théâtre de Création


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