«L'intimité nous suffit»

Leur dernier album, The Needle was travelling, enfonce le clou d'une saine schizophrénie entre ballades expé et variations pop en décalage majeur. À l'occasion de la venue de Tarwater ce vendredi à EVE, petit entretien avec Ronald Lippock, voix de moins en moins fragile du duo. Propos recueillis par François Cau


Avez-vous composé The Needle was Travelling comme vos précédents albums, de façon quasi intuitive ?Ronald Lippock : À vrai dire notre méthode n'a pas tellement varié à travers les années... On travaille dans notre propre studio, on rencontre des groupes, on joue beaucoup, on commence à jouer avec les machines, on se lance dans une jam-session et on commence à rassembler ces éléments, à les transformer en séquences... Au début on n'a pas la moindre idée de ce que ça va donner, si ce sera une chanson, ou une piste juste instrumentale, on essaie de ne pas se poser de limites, de laisser de la place pour ce qui pourrait surgir. Par exemple, tous les musiciens invités sur ce disque sont des amis, des gens qu'on a rencontré à Berlin, des gens qui sont venus au studio, parfois presque par accident. Pour le morceau TV blood, Marc Weiser passait juste au studio rapporter des affaires, on l'a chopé et on lui a demandé "tu pourrais pas jouer de la guitare, file-nous un coup de main sur la chanson", et ça s'est fait comme ça. The Needle... est peut-être l'album où vous utilisez le plus des instruments "classiques"...Depuis Dwellers on the Threshold, on utilise toujours des instrumentations faites sur ordinateur, mais d'un autre côté on s'attache fortement à jouer de plus en plus d'instruments. On a certes ce clash très présent entre musiques électronique et organique, mais tout de même, le son de Tarwater c'est surtout le morceau, sa structure... On a toujours travaillé avec la voix, la guitare ou la basse, quand de nombreux musiciens électroniques ne voulaient pas en entendre parler. On travaille, on essaie de maîtriser de plus en plus d'instruments d'année en année ; je pense même depuis un moment qu'on bosse sur quelque chose comme notre vision du blues...Il y a toujours une propension schizophrénique, à alterner les morceaux chantés et les plages plus "contemplatives"...Je sais qu'il y a cet aspect dans ce qu'on fait, certains appellent ça de la broken-pop... Quand on fait des morceaux pop il y a toujours un côté tordu, et quand on verse plus dans l'expérimental il y a toujours un côté pop qui le rend également tordu... Mais on ne voit pas ces deux aspects comme entrant en contradiction, on cherche avant tout à faire quelque chose d'accessible. Les gens pensent qu'on intellectualise beaucoup, surtout avec nos projets culturels parallèles pour le cinéma, le théâtre ou l'art contemporain, mais c'est plus un processus inconscient que véritablement stratégique. Qu'est-ce qui vous a poussé à mettre votre voix plus en avant ? Est-ce que vos récentes collaborations avec Piano Magic ou Philippe Poirier vous ont aidé ?C'est à l'écoute de nos derniers morceaux qu'on a pris cette décision, on voulait qu'ils aient une touche plus, disons "dans ta face" que nos travaux précédents. Très honnêtement, à la base je ne suis pas un chanteur, je n'ai pas vraiment de don pour ça, ma voix a disons certaines limites. Mais c'est venu à travers les années, à partir du moment où on a décidé de s'en servir comme d'un outil à part entière, et surtout à force de jouer live. T'apprends à mieux vivre, à mieux gérer ta voix. Donc c'est plus par la pratique que par nos collaborations avec les artistes que vous avez cités, mais les observer a bien évidemment été une source d'inspiration. Comment faites-vous vivre ces compositions sur scène ?C'est une question piège... Au début, quand on a commencé à nous demander de faire du live, on savait déjà qu'on ne pourrait jouer que tous les deux, sans engager des musiciens qui n'auraient pas participé au processus créatif. Comme dans de nombreux projets électroniques, où les artistes vont sur scène avec un super batteur ou quelqu'un qui vient juste jouer de la guitare... C'est bien aussi, ne prenez pas mal ce que je vous dis, mais dans notre cas on trouvait ça plus adéquat de le faire juste nous deux, même si on a besoin d'énormément de machines. Quand on me pose l'éternelle question de savoir si ça vaut la peine de jouer de la musique électronique en live, je réponds invariablement oui, parce que la chanson change radicalement, même avec beaucoup de matériel pré-enregistré, parce que tu la joues pour un public. Avoir cette relation de grande intimité rend le live très utile. Pas besoin de grosses ficelles scéniques où on pourrait trahir le public - de toute façon, le public sait si tu le trahis ou pas. Il doit y avoir une certaine intensité, même si nous n'offrons a priori pas un spectacle très glamour, sans lumières qui flashent, sans monstres ou sans flammes sur scène. L'intimité nous suffit. Tarwateravec Man et Dj Rescuele 21 octobre dès 20h30, à EVE


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