La vie en déséquilibre


critique / Le projet de la trilogie Qatsi prend pour point de départ les prophéties des indiens Hopi, sur le devenir du monde contemporain. Une vision alarmiste, où la peur du rouleau-compresseur inhumain des nouvelles technologies se traduit par une aspiration à un nouveau mode de vie, sous peine de dommages irréparables (le mot Koyaanisqatsi signifie d'ailleurs "monde en déséquilibre"). Dans son premier long, Godfrey Reggio prend le parti de développer une non-narration, une succession d'images (paysages, explosions, machines industrielles, visages, foules...) dont la beauté terrassante doit beaucoup au directeur photo Ron Fricke ; le tout sur une musique exceptionnelle de Philip Glass, qui aura composé en continu pendant les trois dernières années de tournage. Le résultat est entièrement libre d'interprétation (et d'aucuns d'y voir assez paradoxalement une ode détournée à la technologie), procure en tout cas des émotions inédites à tous les cinéphiles de la planète. Il leur faudra attendre 1988 pour que le deuxième volet arrive sur les écrans. Powaqqatsi met pour sa part l'accent sur l'humain, sur le Tiers-Monde plus précisément. L'art du montage devient ici dangereusement envoûtant, le discours lourdement démonstratif. On ne résiste pas à la tentation d'imputer la faute aux nouveaux producteurs exécutifs, George Lucas (en pleine descente d'acide après le bide cosmique du ridicule Howard The Duck) et surtout Menahem Golan et Yoram Globus, les frères pétards de la production US. Naqoyqatsi (sous la tutelle moins inquiétante de Steven Soderbergh) tranche assez violemment avec ses deux prédécesseurs : incorporation massive d'images d'archives, de personnalités en tous genres, retouches à la palette graphique... S'il perd en originalité, s'il souffre surtout de la comparaison avec l'exemplaire premier opus, Naqoyqatsi demeure une expérience cinématographique hors norme, la partition de Philip Glass accompagnant avec la même efficacité redoutable des séquences aux accents visionnaires souvent inquiétants (voir la séquence avec les Twin Towers, tournée avant leur disparition). Un trip visuel ne nécessitant aucune ingurgitation de psychotrope pour pouvoir l'apprécier. FCNaqoyqatsile 14 mai dès 20h30 au parc du Musée Géo-Charles


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