Electro-choc poétique

Musique / Condensé d'énergie brute déployée dans des compositions épurées, Elvire trouve son équilibre dans la rupture, et mêle dans un univers en constante effervescence électro-jazz, jungle, free-jazz et rock. Le trio métisse les sons et trace son propre langage. Diane Rollin


Libre espace d'imagination, la musique du trio mêle savamment électronique et improvisations acoustiques (saxophones, basse, batterie) et entraîne des déferlements d'images dans un film intérieur où se mêlent David Lynch, Björk, Goran Bregovic ou John Coltrane, pour une expérience à l'intensité émotionnelle poétique et sauvage. La tension qui parcourt l'album en filigrane se nourrit d'un univers aux cadences infernales où les ambiances sombres et tourmentées alternent avec des compositions plus ludiques et des atmosphères fantastiques, décalées, où se mêlent songe et énergie palpable, charnelle. Les personnages imaginaires suggérés par ces compositions très visuelles semblent entraînés dans une course poursuite où se mêlent le drame et le rêve, avec quelques moments de répit, avant de repartir dans quelque chose d'éphémère et d'intense, avec une énergie réinventée à chaque rupture d'atmosphère. Cette cavalcade incessante et parfois entêtante aux accalmies fugitives rappelle la cavale des Sailor et Lula de David Lynch, dont la présence est matérialisée non seulement par la musique mais aussi par les samples du film, en écho à la fuite en avant des amants illégitimes d'Intimité (Patrice Chéreau), eux-mêmes présents par un subterfuge identique mêlant étroitement images (suggérées) et sons.Alchimie électriqueCette fusion fertile entre électronique et acoustique découvre de nouveaux espaces d'investigation au-delà de la simple mouvance électro-jazz ; Elvire explore ses propres imaginaires et développe une identité affirmée malgré son jeune âge. Le trio n'a qu'un an et fait preuve d'une étonnante maturité, dans sa maîtrise de l'articulation et de la fusion entre sons électroniques et acoustiques, mais surtout dans sa capacité à façonner un univers cohérent qui captive l'imagination. Malgré l'entremêlement incessant de sons et d'ambiances hétéroclites, l'espace sonore n'est jamais saturé ; le saxophone (alto ou soprano) de Romain Fourcy s'empare de la matière sonore et la transforme au gré de ses improvisations, dans une extrême liberté permise par le duo basse-batterie, calé sur le rythme de la machine. Frédéric Dutertre à la basse façonne des sons rock et ébauche des univers plastiques avec ses samples protéiformes, alors que Christophe Telbian corrompt la machine par son jeu de batterie explosif, aussi bien dans les tendances rock que jungle. Malgré la contrainte d'un tempo imperturbable imposé par la musique électronique, les trois musiciens sculptent leur espace sonore à leur gré et modèlent leur univers en toute complicité. Après une résidence d'un an au Ciel, le trio se produit en concert ce jeudi à 20h30 à l'occasion de la sortie de son premier album éponyme.Elvireau Ciel le 10 février à 20h301er album : "Elvire" (disponible)


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