La vérité sur le chômage

Rompre le silence, mémoires de chômeurs et précaires en Isère de 1975-2007 donne une voix et une visibilité à des hommes et femmes chômeurs. À partir de leurs vécus, des points de vue justes sur la précarité, le chômage et la société émergent. Séverine Delrieu


Dans la salle qui reçoit les expositions temporaires au Musée de la Resistance et de la Déportation, la première vision de la nouvelle exposition est celle d'un ouvrier. Un mannequin représentant cet employé, tête lâchée, hagard, est assis en amont d'une image d'usine vide. Plusieurs larges visions de ces intérieurs d'entreprises désertées, de casiers béants, de papiers volants, se succèdent et symbolisent les licenciements massif, les fermetures d'entreprises. Au milieu des images - où la subjectivité est fortement sollicitée - des phrases, paroles, réflexions de chômeurs anonymes sont inscrites sur des panneaux. «C'est sans doute dans le regard que se reconnaissent ceux qui ont chuté. Une sorte de détresse infinie fait que la foule qui les entoure ne les voit pas. Ils sont invisibles» lit-on ici, même si pour l'instant, les visages et les regards sont absents. Au désarroi de la perte du travail, au mal-être, au sentiment de culpabilité (nourri par la société) fait suite la pauvreté : un processus destructurant débute. «Payer sa location, le téléphone, le chauffage, l'électricité, les assurances, se nourrir, s'habiller, essayer de continuer d'exister (...) Quel désastre que de se retrouver dans la pauvreté» dit Christian. Puis vient l'inscription à l'ANPE, la dose incompréhensible de paperasse. La culpabilisation, les humiliations et la stigmatisation aussi. Aux images d'usines vides, font place des formulaires des ASSEDICS, ANPE encombrant les murs. Un document diffusé sur un écran - comme l'on peut en trouver dans des ANPE - explique les différentes aides mises en place depuis 75 jusqu'à aujourd'hui. Enfin, les visages d'hommes et de femmes apparaissent, une cinquantaine de photographies, auxquels s'amorcent parallèlement les récits de création d'associations de chômeurs en Isère et leurs luttes.Résister, c'est vivreÀ partir de documents, tels que des tracts, affiches, objets, images, vidéos, témoignages, le propos se développe sur une pulsion de résistance. Certaines personnes, pour ne pas sombrer, se sont fédérées en créant des associations et ont initié l'histoire des mouvements de chômeurs en Isère (citons la création de Chôm'agir en 1981). En 1998, les actions des précaires et chômeurs en Isère sont plus visibles : occupation des ASSEDICs, du hall de l'Hôtel de Ville, de la Place de Verdun, du Palais de Justice et lancement des opérations “caddies”. Les revendications, plus que légitimes, sont la demande de gratuité pour les transports en commun, et l'exonération de la taxe d'habitation. Lors de ces actions de résistance, une dizaine de personnes sont assignées en justice. En 1994, une marche européenne de précaires eut lieu, à laquelle se sont joints des associations locales. Enfin en 2003, est créée l'association Gallo (Groupement d'Activités Locales Libres Ouvertes ) par Chistian Devaux après le décès brutal d'un ancien camarade nommé Dominique Gallo. La chronologie de cette histoire des luttes s'unifie et prend élan sur les autres éléments de l'expo – subtilement assemblés par le scénographe Jean-Jacques Hernandez - notamment les portraits du photographe Michel Gasarian, un film réalisé par Alain Massonneau et Catherine Page, ce dernier réunissant des coups de gueule, des révoltes, des témoignages de personnes ébranlées, par la peur du chômage ou par les suites du chômage.Leurs histoires, notre histoire«Le chômage ce n'est pas un hasard. Ce n'est pas une fatalité. C'est le réflexe organisé d'une économie afin de disposer d'un capital salarié beaucoup plus accessible(...)», signé un architecte anonyme. Au-delà des différents supports artistiques qui se croisent (film, photographie), la force de cette exposition qui est plus une «écoute des voix jamais écoutées», réside dans la justesse des réflexions, observations, craintes, constats des personnes rencontrées et qui analysent parfaitement le système qui régit nos sociétés. «Ce que je crains aujourd'hui, avec les slogans du genre “travailler plus, pour gagner plus”, c'est qu'on s'éloigne encore plus du “travailler pour gagner sa vie”. Une partie de la classe politique combat aujourd'hui l'idée d'une juste répartition du travail(...)» signé Claire. Ou plus loin : «On ne se voit plus entre chômeurs : la conséquence de “leur” politique, c'est que non seulement ils ont fait disparaître les chiffres du chômage, mais les personnes elles-mêmes ne se voient plus. Les chômeurs sont des victimes sacrificielles du système», signé Jean. Un autre chômeur, Serge, soulève la question des actionnaires : «Que dire aux personnes dans le monde entier qui ont des actions ? Comment leur dire qu'ils vont contribuer à la perte d'emploi partout ? De toutes façons, il y a de gros actionnaires qui prennent les décisions à leur place». Enfin, Jean conclut : «Mais rien n'a jamais changé sur le fond et c'est très grave. La précarité s'est instituée». Une question sera posée au visiteur en sortant de ces lectures, à savoir, «Comment construire une société sans chômage ?». Une réponse d'un visiteur sera de rappeler cette indécence «Un salaire de président qui augmente de 140%», et à côté plus de précarité.Rompre le silence, Mémoires de chômeurs et précaires en Isère, 1975-2007jusqu'au 7 avril 2008, au Musée de la Résistance et de la Déportation


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