Müh en Federman

Théâtre / L'ambiance feutrée, chaleureuse et musicale, c'est l'écrin délicieux dans lequel le comédien Stéphane Müh incarne superbement le monologue Mon corps en neuf parties de Raymond Federman. Ce texte, hymne savoureux aux plaisirs de la vie, et aux sens, n'élude jamais la douleur. SD


Comme presque tous les textes de Raymond Federman, Mon corps en neuf parties est une œuvre autofictionnelle. C'est un texte à la langue poétique ; un monologue énergique à l'oralité avérée, cerné de dialogues et d'interpellations joyeuses, de digressions, de souvenirs, de détours, d'associations d'idées, et de pensées formidables sur la vie et les sens. Une prise de parole nécessaire, vitale comme pour se sauver : «je parle donc je suis», écrit d'ailleurs cet attachant écrivain franco-américain né en 1928 à Paris. Une langue au fond, très théâtrale. On comprend donc pourquoi Stéphane Müh, comédien formé chez Lecoq, incarne magnifiquement cette voix, ce personnage, cette anatomie, ce condensé de vie : car tout part du corps. À travers l'évocation de 9 parties de son corps (les cheveux, les orteils, les yeux, le sexe…), Federman, l'auteur parti pour les Etats-Unis à la fin de la deuxième guerre, narre, non sans humour et espièglerie, certains épisodes de sa vie. Le corps en questionDans ce récit de vie morcelé, sans aucune linéarité chronologique, la gravité se mêle à la comédie. Les expériences graves, traumatisantes, comme le souvenir de la mère disparue, l'âme cachée dans les cicatrices, l'épisode fondateur du placard, la maladie se voient conjurées par l'infinie gourmandise et appétit pour la vie. L'humour, la sensibilité à la beauté, la capacité à ressentir du plaisir au contact de choses simples comme le parfum d'une fleur, ou encore la sensualité puissante viennent contrecarrer la noirceur de l'existence. Ce monologue musical happe dans une valse aux émotions, oscille entre les traces douloureuses éprouvées par le corps, et tous les plaisirs qu'il garde aussi, vivaces en lui. Ce texte nous renvoie à notre propre corps et à notre capacité à ressentir, à faire plus corps avec la vie. C'est d'ailleurs une légèreté et un plaisir farouche pour la vie qui voguent sur scène. Grâce à un dispositif scénique simple - un long miroir fin, des lumières rouges, un autre miroir au sol – et la présence précieuse de deux multi-instrumentistes féminines, Babette Hérault et Crystel Chiaudano qui composent un univers sonore subtil, une ambiance de jeu et de soirée rieuse s'en échappe. Stéphane Müh y est tour à tour narcissique, impétueux, enfant blessé, séducteur incorrigible, homme émouvant, amoureux, léger, provocant, joueur, homme blessé, transformiste et crédible à chaque fois. Les musiciennes lui donnent le change : elles se moquent gentiment, le repoussent, l'aiment. Une réussite totale.Mon corps en 9 parties jusqu'au sam 1er déc à 20h30, au Théâtre 145


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