Les murs de Berlin

Lecture / Le comité Troisième Bureau lance sa nouvelle saison de lectures avec Berlin, 9 novembre, une pièce très politique de Pierre Bourgeade. SD


Le collectif Troisième Bureau, comité de lecture de théâtre contemporain fort de son dernier et passionnant Festival Regards Croisés (consacré aux dramaturgies contemporaines axées sur les thèmes de l'exil et de l'immigration), prolonge logiquement sa réflexion en consacrant les lectures de cette nouvelle saison aux auteurs de théâtre préoccupés par la construction, les présences de murs, visibles ou invisibles dans notre monde. Pour leur première lecture, le collectif choisit une pièce du romancier et dramaturge français Pierre Bourgeade, Berlin, 9 novembre, une pièce qu'il publie en 2002. Pierre Bourgeade est un auteur marqué par les guerres, d'Espagne d'abord, puis par celle qui suivra en France. Il garde de ces expériences traumatisantes un regard critique sur l'Histoire contemporaine, regard qu'il transcrira dans nombre d'écrits. Dans Berlin, 9 novembre, deux personnages, des chefs de station du métro de Berlin Est et Ouest, qui incarnent symboliquement l'histoire et le passé de l'Allemagne, se dévoilent l'un à l'autre, et resteront absents des évènements qui se déroulent au-dessus d'eux.Enfermement et dédoublementCe qui caractérise l'Histoire tragique de Berlin, une ville séparée par le mur, c'est l'enfermement et le dédoublement. En ce sens, les personnages de Rudolf chef de la station du métro de Berlin-Est et Wolfgang, occupant la même fonction mais à l'Ouest, incarnent ces caractéristiques. Les 4 séquences qui font la pièce se déroulent donc dans le métro ; elles sont ponctuées par les interventions d'une voix venue du haut-parleur qui narre les évènements du 9 novembre 1989, la chute du mur. Alors que jamais ils n'échangent plus d'une parole, ce jour-là, le 9 novembre, le dialogue entre les deux hommes se fait. Pierre Bourgeade écrit pour ses personnages des dialogues exagérés, caricaturaux afin de marquer les différences absurdes de chaque univers : communisme d'un côté, capitalisme de l'autre. Chacun défendant sa doctrine, son monde idyllique à travers des détails typiques. Mais, très subtilement, le souvenir et la nostalgie remontent et leurs récits deviennent intimes pour devenir des révélations. Et ceux qui étaient en théorie si éloignés s'avèrent être on ne peut plus proches, vivant quasiment l'un par rapport à l'autre. Ce mur du silence érigé depuis tant d'années s'effondre, laissant alors s'échapper un réel absurde et un sentiment de gâchis incommensurable. Pierre Bourgeade réussit à restituer tout le tragique et la fragilité de ces hommes confrontés à leurs histoires mais aussi à l'Histoire, absurde par ses doctrines et ses formes de dictatures. Des hommes pris dans le courant de l'Histoire, près à ériger des murs, puis à les détruire.Lecture de “Berlin, 9 novembre” par Troisième Bureau lun 10 déc à 20h, au Café-Restaurant La Frise Livre : “Berlin, 9 novembre“, éd. Avant-scène Théâtre


<< article précédent
Ordures langagières