Comme en plein cœur

Après “Intérieur Nuit”, le circassien Jean-Baptiste André nous dévoile Comme en plein jour. Second volet de sa passionnante et émouvante exploration des limites du corps. Jean-Emmanuel Denave


Chaque matin, pendant deux heures, Jean-Baptiste André fait des équilibres sur les mains, empilant et désempilant des briquettes tête en bas... Une drôle de façon de commencer sa journée qui dit l'exigence, le perfectionnisme, la concentration mais aussi le côté renversant du jeune homme. À moins de trente ans, ce dernier a déjà un beau début de carrière derrière lui : formé au Centre National des Arts du Cirque (avec deux spécialités : clown et équilibriste), il danse avec Philippe Decouflé et Christian Rizzo, fonde en 2002 l'association W, crée en 2004 Intérieur Nuit, qui connaît un joli succès. Une première pièce inclassable aux confins de la danse, du cirque et des arts plastiques, mêlant ces disciplines sans esbroufe ni surenchère, mais au contraire au sein d'un dispositif sobre et poétique. Entre quatre murs, un célibataire esseulé y explore chaque pan de mur et la moindre petite ouverture à travers les équilibres les plus renversants, joue avec sa propre image vidéo, se débat avec ses fringues jusqu'à l'épuisement, exécute un superbe solo sous le mince halo d'une loupiote et sur la musique des Tindersticks... Dès sa première pièce, Jean-Baptiste André campe un personnage qui est aussi une somme d'expérimentations : anti-héros à la Kafka se confrontant à tous les plis et replis acrobatiques et poétiques du corps, nourri de cinéma burlesque et de multiples références plasticiennes (le photographe du corps John Coplans en particulier). Se dédoubler Son nouvel opus Comme en plein jour forme avec Intérieur Nuit un diptyque. «C'est une fenêtre ouverte sur l'identité, s'intéressant particulièrement à la figure du double... Le travail est guidé par cette envie persistante de chercher les limites du corps, de ses altérations... Visiter des états du corps, courtiser le risque, chercher une présence à fleur de peau. Ces axiomes prennent racine dans un questionnement psychologique : comment est-on manipulé par son propre corps ? Comment des états nous submergent, nous dépassent ?». Après le huis clos dans la pénombre d'Intérieur Nuit, Comme en plein jour se veut un horizon plus ouvert, balayé par des lumières changeantes aux tons pastels. La scénographie reste sobre : une piste blanche, deux colonnes diffusant les lumières, un banc, un portant de costumes... Seule la complicité d'un guitariste sur scène brisera quelque peu la solitude habituelle de l'artiste. À la recherche de nouvelles identités, Jean-Baptiste André incarne plusieurs personnages dont un clown blanc auréolé de sa fraise, directement inspiré d'un tableau d'Edward Hopper (Soir Bleu) où un Pierrot mélancolique fume une cigarette à la terrasse d'un café. Watteau, Rembrandt, Rothko et d'autres peintres seront aussi discrètement de la partie... Nous n'avons vu qu'une courte séquence de ce spectacle mais l'émotion fragile et toujours sur le fil de Jean-Baptiste André y était déjà palpable. L'artiste ouvre de nouveaux espaces, pose quelques briques, esquisse de nouvelles possibilités du corps : laissez-vous guider, laissez-vous renverser. Comme en plein jour mer 9 avril à 20h, à la Rampe (Échirolles)


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