Les isolés

Critique / Après avoir été comédienne et metteure en scène, Nathalie Papin se consacre à l'écriture de théâtre en direction de la jeunesse. Elle est entre autres l'auteur de Le pays de rien, pièce métaphorique et philosophique aux allures de conte contemporain. Séverine Delrieu


Dans le pays de rien, un roi perpétue la tradition maternelle : il fait table rase de toutes expressions, émotions, pensées, des dangers confinés derrière les barreaux de cages. A sa fille, il veut imposer cette manière de voir le monde. L'arrivée d'un jeune garçon fait vaciller ce monde sécurisé, ultra refermé, un monde de silence à la fois rassurant (le monde est maîtrisé) et angoissant (la vie grouille et hurle aussi de douleur dehors). Avec finesse, et économie de mots, la dramaturge aborde la privation des libertés, la dictature, le repli identitaire, les murs visibles érigés entre les états, et invisibles construits dans une famille. La relation fille/ père, exclusive donc étouffante, s'avère déstructurante aussi dès lors qu'elle est coupée de la mémoire, des racines. Rien de simple donc, ni de binaire dans cette pièce que Nathalie Papin écrit en 2002. Si le Roi oppresseur inconscient est malheureux, le jeune garçon dans son désir de sauver «la meute d'enfants qui traînent avec leur rêves et qui n'ont pas d'endroit pour les étaler», impose une autre vue à la jeune fille. Cette dernière, perdue au milieu de sentiments ambivalents, se pousse à se définir, à choisir sa route pour construire mieux.

Au pays de rien, la vie reviendra

Pour une première création à l'Espace 600, la metteure en scène Emilie Le Roux – artiste proche de cette structure – opte pour des partis pris scéniques qui révèlent toute la complexité des personnages et la pertinence du propos. Sur scène l'obscurité omniprésente abolie les limites, tel un monde du néant où les visages, les corps pourraient bien disparaître aussi. Les présences, ombres glissantes, de Lou Martin Fernet une fille du roi très convaincante, à la fois troublée et buttée, enfant indocile et réfléchi, crée une intimité juste avec Dominique Laidet, roi fatigué dont on déguste chaque parole posée avec soin dans l'espace. Geoffroy Pouchot Rouge-Blanc, en jeune garçon décidé, ne joue pas que le sauveur positif, mais trimbale aussi son lot de folie. Enfin, une bande son efficace, densité de tout ce qui est absent (la vie, les ancêtres, la réalité) diffuse des sons saturés. La vie peut être oppressante, tout autant que la non vie. Pas d'idéalisation, c'est ce que la jeune metteure en scène suggère et souligne : la scène fulgurante d'amour grince (rires étranglés et exagération du bien-être) ; les enfants égarés font beaucoup trop de bruits et agacent. Et la liberté, fragile, est une rude mais nécssaire conquête. Séverine Delrieu

Le Pays de Rien
Mardi 5 fév à 19h30, mercredi 6 à 15h et 19h30, jeudi 7 à 9h30 (scolaire) et 14h30 (scolaire), vendredi 8 (scolaire) à 9h30 et 19h30 à l'Espace 600 (dès 7 ans. La pièce est publiée à l'Ecole des Loisirs-Théâtre)


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