Humain trop humain

Dans la totalité des espaces du Magasin l'artiste Adel Abdessemed dessine à partir de son vécu, un parcours énigmatique, Drawing for Human park, sur les horreurs du monde. SD


Adel Abdessemed, artiste à fleur de peau, justement réactif à toute forme d'oppression, pose à travers des “actes”, pièces radicales et liées entre elles, la question des violences. Violences générées par les politiques, les identités culturelles ou spirituelles, religieuses, les nationalismes, les a priori, préjugés, libéralisme vorace, et tout ce qui peut rendre l'humain moins libre. La violence est là, diffuse sans dénonciations frontales ; elle est détournée, Abdessemed jouant avec les mots, les symboles, frôlant la satire, le dérisoire. Dire le monde, s'y “mêler” (selon ses termes) toujours, pour cet artiste de 36 ans, Kabyle né en Algérie, très philosophe, nourri de littérature et de musique contemporaine. Il écrit un univers non formaté, où la puissance de transgression se décline dans des gestes quelques fois arides mais où le sens est le seul souci. Loin de tout esthétisme. À travers un ensemble de pièces - à une exception près - entièrement produites pour le Magasin, on reçoit une déflagration de liberté et d'énigmes à la vision de Drawing for human Park.

Also sprach

Adel Adel Abdessemed semble mettre l'accent sur la perte de la place qui incombe à l'humain, bouffé par un monde globalisé. Dans une première vidéo, l'artiste “impliqué”, est attaché par les pieds à un hélicoptère. Son corps soumis au vents et mouvements de l'engin, tel un animal humain prisonnier de la machine, dessine des sortes de cratères, déflagrations bousculant les perceptions. Dans une autre salle, ces spirales sur bois encadrent Telle mère, tel fils, des carcasses d'avions tressées, ou sorte d'avion-serpent qui se mord la queue. Tôles polluantes de la modernité, cette installation évoque aussi le voyage vers sa mère, femme proche de la terre, « première altermondialiste après Dostoïevski ». Les coups de marteaux pleuvent sur des animaux, dans les vidéos Don't Trust me. Soit l'animal, mais plus largement l'être vivant soumis meurtri sacrifié par les croyances. Vidéos, comme un échos à l'homme-gorille (une photographie) qui passe la bague au doigt à une mariée apeurée - domination masculine ?. L'environnement sonore transfigure la réalité : rythmes répétitifs des coups de marteaux se mêlent à l'éructation d'un chanteur d'opéra aux dents de vampire – le grand capital pompant les vies. Trust me est une vidéo brute : en arrière plan un paysage urbain trop commun – terrain vague et immeuble démoli – l'homme-monstre devant déclame une litanie monstrueuse faite d'hymnes nationaux compressés. Une performance vocale et expressive puissante sur les bêtises des nationalismes. Une autre vidéo montre la réalisation de Also sprach Allah, un tapis derrière un plexiglas sur lequel est écrit cette phrase du poème de Nietzsche ; le prénom pourrait être remplacé par n'importe lequel, comme si la parole humaine, loin des idoles et des dieux était négligée. Au sortir un immense cercueil noir, Messieurs les Volontaristes, un trou béant pour y glisser l'humanité. Une mise à nu pour dire le pire du monde, mais aussi une incitation à vivre libre, à se libérer.

Drawing for Human Park, jusqu'au 27 avril au Magasin


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