Les (E)pîtres de Py

Critique / Jubilatoire et intelligent, Épître aux jeunes acteurs, pour que la parole soit rendue à la parole joués par les excellents John Arnold et Samuel Churin est une charge contre la perte de sens et une ode au théâtre écrit et mis en scène par Olivier Py. Séverine Delrieu


Un homme, valise à la main costume sombre, cheveux plaqués - un anonyme - approche. Humble. Enigmatique. Qui est-il ? Au devant d'un plateau de théâtre, il lance une phrase, une parole d'un poète, d'un penseur, une phrase accompagnée d'un geste étrange, signifiant que lui-même, n'a pas tout à fait saisi ce qu'il disait.
Les Mots, le dépassent mais le transfigurent. Il devient, Le comédien. « Quoi de plus miraculeux que le comédien? », nous dit le poète, Olivier Py.
Maquillage outragé, perruque platine, robe blanche et couronne à fleurs, une tragédienne naît devant nous, roulant les syllabes, éructant, érigeant les bras, magistrale et ridicule, risible et triste.
Un John Arnold puissant, véhément, physique, outragé, provocant, entier, total. L'extravagance, la démesure et le sacré mêlé au désespoir.
La tragédienne, fière et pompeuse, drapée dans ses croyances, clame l'amour de son art, le théâtre ; honore avec passion les poètes ; redit cette nécessité du théâtre, des acteurs ; véhémente et militante, elle regrette la disparition de la parole au profit de la communication triviale, fustige un monde de l'imbécillité.
Et elle est extrêmement touchante, car ses mots nous délivre d'un poids, et son jeu de tragédienne, ridicule, est une douleur. Elle s'exhibe aussi, «donnant en spectacle » les reflets de sa chair nue offerte, de ses valeurs sur un miroir déformant sur lequel le public se voit aussi, humanité voyeuse, qui aime aussi se montrer.La métaphore du monde théâtral
Seule et bavarde, clairvoyante et lucide, elle est coupée par les personnages institutionnels et personnages symboliques : le rabat-Joie, le responsable culturel, le policier du désir, le ministre de la communication, le directeur du conservatoire d'art dramatique, le porc moderne et l'enfant.
Personnages à pancartes incarnés par Samuel Churin, observateur rationnel, qui donne le change, perturbe, détruit, rationalise.
Pourtant, malgré le noir constat d'un paysage désespérant, écrasant l'humanité ou l'art sous un ongle, le texte subjugue car l'éloge l'emporte : la parole, le lyrisme, la recherche de profondeur, sont les valeurs suprêmes à chérir.
Et sous l'écriture magnifique, lyrique et engagée d'Olivier Py, ce pamphlet est un souffle de délivrance. Un texte qu'il écrit en 2000 sous forme d'une « conférence » pour répondre à une commande du Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique qui était à l'origine destiné aux apprentis acteurs.
Texte qui parle à tous et dans lequel Olivier Py parle de l'art théâtral intrinsèquement subversif, parle de lui le poète, l'acteur, le directeur d'institution.Epître aux jeunes acteurs pour que la parole soit rendue à la parole, du 1 au 4 avril à 20h, à l'Hexagone (Meylan)


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La chair et le son