Martyre


Le Sacre / L'énorme gageure que voilà. Le Sacre du Printemps n'est ni plus ni moins que l'une des plus fameuses créations de Stravinski, si ce n'est la plus sulfureuse d'un compositeur coutumier des scandales. Un classique auquel se sont frottés des noms prestigieux de la chorégraphie contemporaine, de Pina Bausch à Angelin Preljocaj en passant par Maurice Béjart. La description, en “deux tableaux de la Russie païenne“, de rites ancestraux célébrant la terre nourricière, honorée par des danses déférentes mêlant la joie et la crainte, puis de leur aboutissement vers le sacrifice humain d'une jeune fille élue par ses pairs pour satisfaire les dieux. Loin du faste scénique des chorégraphes précédemment évoqués, Andonis Foniadakis prend le parti risqué d'une épure sans concessions.
Le premier tableau voit ainsi une interprète unique (la stupéfiante Yukari Kami) se lancer dans un imposant solo de plus d'une demie heure, avec la lourde tâche d'accaparer l'espace par sa seule présence. Le défi est largement relevé : dotée d'une grâce hypnotique, la danseuse se joue de sa quasi nudité et se fait l'incarnation d'un large spectre d'émotions.
Assurance, fragilité, angoisse, domination sensuelle, soumission lascive, Yukari Kami happe l'attention, entraîne le public vers le deuxième et ultime tableau. Un “simple“ jeu de panneaux coulissants et l'irruption d'une dizaine de danseuses supplémentaires suffisent dès lors à chavirer le spectateur. L'enjeu de la pièce prend chair avec une horrible évidence, ballet de capes autour d'un promontoire sacrificiel, danse de spectres accompagnant la future mise à mort. L'audace des partis pris d'Andonis Foniadakis paie : d'une œuvre composée pour un ensemble orchestral grandiloquent, et a priori vouée à être chorégraphiée à l'égale de cette démesure, il tire une fresque à l'intimité déstabilisante. FC


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Le Grand Alibi