Des corps et des mots

Théâtre / La metteur en scène et dramaturge Pascale Henry adapte le monumental De la Démocratie en Amérique, qu'Alexis de Tocqueville, penseur inlassablement animé par la question de la liberté, rédige en 1830. Cela donne Les Tourments d'Alexis, une version incarnée par quatre comédiens au musée de la Révolution. Propos recueillis par SD


Petit Bulletin : Qu'est-ce qui vous a interpellé dans ce texte ?
Pascale Henry :
Ce qui m'a immédiatement frappé, c'est la distance avec laquelle Alexis de Tocqueville a observé la démocratie naissante en Amérique. Il voit les impasses vers lesquelles elle peut se diriger, et comment elle peut aussi allonger un asservissement. On constate son incroyable force de méditation mentale, très intellectuelle : il décrit d'une manière remarquable les mécanismes et les fondements de la démocratie, c'est-à-dire ce sur quoi va se fonder ce pacte entre les hommes, et les bizarreries qui en découleront. Au premier rang desquelles, les conséquences du bien-être matériel, où comment cette dérive mettra en branle la démocratie. Ces pages sont révélatrices, on pourrait mettre des corps à la place des mots.

Ce texte c'est 800 pages. Comment avez-vous procédé pour l'adapter ?
Evidemment, la compagnie a tout lu. Nous ne voulions pas faire un gimmick autour d'Alexis Tocqueville, mais comprendre profondément sa pensée. Ce qu'il écrit sur le despotisme et la servitude est frappant. On a aussi gardé le chapitre intitulé Le goût du bien-être en Amérique, que Tocqueville voit comme un despotisme potentiel.
D'ailleurs, bon nombre de mes spectacles interrogent sur cette bizarrerie qu'est la consommation. Il y a des pages aussi magnifiques sur la science, sur l'abandon de la recherche pure au profit de la recherche dite pragmatique. Vraiment, ce texte résonne beaucoup actuellement au moment où nous nous interrogeons sur la démocratie. Il écrit «le despotisme imposé par les objets ne ressemblera à rien de ce que je connais». Il observe et décrit cette situation : quand tout le monde devient propriétaire, la première chose que veut l'autre, c'est ce que possède le voisin, par contre, pour conserver leurs biens, les hommes sont capables de s'accorder pour sûr plus de sécurité… Tocqueville était un aristo, il a un pied dans un monde et un pied dans l'autre, celui de la démocratie à laquelle il croit. Il ne dit pas c'est bien, c'est mal, il dit : il y a une autre forme de souffrance qui va arriver.Vous avez créé une forme pour le musée, mais vous dites que ce spectacle peut se modifier selon les espaces.
J'avais envie de pouvoir le jouer dans des lieux qui font indiscutablement partie de la démocratie, un musée, un théâtre, une assemblée… dans le décor même de l'institution. Au Musée de la Révolution, nous le jouons devant le tableau Le dernier banquet des Girondins, on l'on voit des hommes qui font la révolution, mais qui vont aussi vers la mort, et c'est très fort.Les Tourments d'Alexis sam 17 mai à 20h, au Musée de la Révolution Française (Vizille)


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