Corps brut

Critique / La ruée vers l'Art nous permet d'aborder l'œuvre, déjà, d'une artiste du corps : Erna Ómarsdóttir, performeuse totale et intense d'origine islandaise, regorge d'une énergie incommensurable pour exprimer avec poésie et étrangeté un univers contemporain malade. Séverine Delrieu


Danseuse, chorégraphe, chanteuse, conteuse rock, performeuse, Erna Ómarsdóttir jouit de qualités d'expressions corporelles rares, pour se dire et dire notre monde. Son puissant univers, sa créativité surprenante, sa virtuosité de danseuse raconte la noirceur de l'ère contemporaine asphyxié d'urbanisme, de consommation à outrance et de machines, via une verve rock, trash, piquée, ça et là d'une touche enfantine. La danseuse, prodigieuse, pulsionnelle, extrême, ourdit mouvements répétitifs et frénétiques à la limite des capacités humaines. Tremblements, soubresauts, vibrations, son langage chorégraphique porte le sens. Tout comme sa voix. Sauvage, inquiétante, pleine de suraigus et de cris, d'inventions sonores violentes, ou sensuelles. L'expression transpire des pores d' Erna Ómarsdóttir, incarnation d'une fée emprisonnée dans les années 80, semblant surgir d'un monde en ruine qu'elle tente de reconstruire. Ses passages scéniques expriment à travers un corps brut un monde brutal et buté, inévitablement glissant vers une apocalypse loin d'être joyeuse. L'ancienne danseuse de Ann Teresa de Keersmaeker, Sidi Larbi Cherkoui ou Jan Fabre, également camarade de jeu de Björk ou de Matthew Barney, sera sur scène au Ciel en vraie, et l'on pourra aussi la découvrir à travers des films.L'œuvre au noirDans IBM 1401, A user's Manuel, performance filmée, la danseuse soumise à la domination d'un ordinateur, se voit électrisée dans une séance de torture quasi insoutenable. Dans un film métaphorique beau et très dur, The Unclear age, Damien Jalet et Erna Ómarsdóttir forment un couple de corps clochardisés, échoués dans des montagnes de déchets sur lesquelles une télévision diffuse une publicité sur un shampoing. Les corps machines, corps nucléarisés, corps métamorphosés en bêtes, tentent de survive. Endormis, ils seront pieuvre roulant sur le ressac des pellicules cinéma, un ultime voyage poétique et étrange. Dans la performance scénique prévue au Ciel, The Talking Tree, sorte d'opéra rock halluciné ou conte déglingué, la danseuse/chanteuse incarne un arbre vieux de 3000 ans qui lutte pour sauver le monde. Micro collé à la main, tel une dernière bouée, éructant, gracieuse et violente, son corps s'anime sur une guitare lancinante de Lieven Dousselaere, créant un monde mortifère. Icare (de Youtci Erdos) + IBM 1401, A user's Manual + The Unclear age le 21 mai à 20h30 au Théâtre 145The Talking Tree, performance le 22 mai à 20h30 au Ciel


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