Parlez-moi de la pluie

De et avec Agnès Jaoui (Fr, 1h38) avec Jean-Pierre Bacri, Jamel Debbouze…


Il arrive à Agnès Jaoui ce qui est arrivé, au mitan des années 80, à Woody Allen : une sensation de redite brillante, de trop grande maîtrise dans l'écriture et de sécurité tranquille dans la mise en scène, invisible plutôt que transparente. Certes, les dialogues sont brillants, les situations justes, parfois hilarantes, et l'envie d'élaborer un discours en conservant une subtile dialectique est louable. Mais l'atout majeur de Parlez-moi de la pluie, sa singularité, est ailleurs. Le désir, évident, de Jaoui avec ce troisième film a été d'écrire et de confier à Jamel Debbouze un vrai beau rôle, du sur mesure qui serait aussi un joli contre-emploi.

Il est donc Karim, réceptionniste dans un hôtel de Province cherchant à réaliser une série documentaire sur les femmes qui réussissent et dont le premier sujet est Agathe Villanova, grande bourgeoise qui, ce n'est pas un hasard, est aussi l'employeur de sa mère, bonne à tout faire au dos voûté par des années de service. Ces restes de colonialisme, d'autant plus ambigus qu'ils s'accompagnent de réels actes de générosité, ont développé chez Karim une envie de revanche et une suspicion naturelle envers ceux qui détiennent le pouvoir. Mais c'est sans violence que cette vengeance s'exerce, par la force de la parole, puis de l'image et du montage. L'intelligence de Karim, Villanova finira par l'accepter avec une condescendance qui est un réflexe de classe ; elle ne cherchera ni à la combattre, ni à s'y plier. Quant à l'intelligence de Debbouze, elle tient à cette souplesse qui lui permet d'être drôle, émouvant, tendre ou inquiet sans jamais forcer la note. Les scènes entre Karim et sa mère sont sans doute parmi les plus belles jamais filmées par Jaoui : il y circule une liberté et une vérité qui tiennent beaucoup à la personnalité de ce comédien formidable, qui organise avec pertinence sa rareté sur le grand écran.

Christophe Chabert


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