Un nouveau monde ?

Pour la deuxième édition du Forum Libération à la MC2, l'équipe du quotidien a concocté trois jours de rencontres et de débats centrés sur la mondialisation, l'environnement ou l'Europe. Point de vue sur l'événement avec le directeur de la maison de la culture. Propos recueillis par François Cau


Petit Bulletin : En termes de logistique cette année, il est notamment question de mieux prendre en compte les laissés-pour-compte de la manifestation ?
Michel Orier : J'ai demandé que le dispositif de sécurité soit plus léger. La difficulté, c'est qu'on est toujours en Vigipirate, avec tout de même pas mal de monde du gouvernement, donc c'est moins léger que pour des débats ou des conférences “normales”. Mais on sera particulièrement vigilant à ce qu'il n'y ait pas de difficultés d'accès à la Maison, ce sont des débats et les débats sont faits pour que les gens qui soient d'avis opposés puissent s'exprimer à l'intérieur, sinon il n'y a aucun intérêt. Et en même temps, il faut que chacun respecte les règles évidentes de la démocratie, que ce ne soit pas le pugilat dans la salle.En parlant de ce forum, vous évoquez l'idée d'initiative contre le “populisme ambiant”…
Je considère qu'on est dans un climat qui n'est malheureusement pas particulier à la France, c'est la même chose en Italie, ça commence en Grande-Bretagne et c'est déjà le cas dans beaucoup de pays de l'Est, un climat où tout ce qui ressemble à un émetteur d'idée, que ce soit un intellectuel à quelque niveau que ce soit, un artiste ou autre devient forcément suspect, et la personne qui l'écoute se fait taxer d'élitisme. On met au pilori toutes ces choses-là de façon très préoccupante. Avec en plus, un abaissement du niveau de langage d'un certain nombre de leaders, lui aussi très préoccupant. À partir de ce moment-là, il y a une sorte de populisme qui règne en maître, avec en plus la prédominance de la télévision. Tout est formaté à partir de là, l'idée n'est bonne que si elle peut être entendue au 20h de TF1, c'est-à-dire si elle peut être exposée en 45 secondes. Ça réduit considérablement le spectre démocratique. Et puis on sent bien que le politique, et pas seulement à droite, a une fâcheuse tendance à privilégier une photographie de la France bâtie à coup de sondages d'opinion, tout cela crée un climat populiste avec ses codes, comme la surenchère sur l'insécurité…Et la tendance à la pensée unique…
C'est encore autre chose. Ce que je voulais dire essentiellement, c'est qu'il faut qu'on fasse très attention. En dehors des thèmes catastrophistes – qui ne sont d'ailleurs pas négligeables, on peut tout à fait les développer et j'espère que ce sera le cas – je crois beaucoup à la réflexion d'Erri de Lucca, qui dit qu'en gros, tout le dispositif d'entraide sociale, de solidarité, de fraternité qui a été développé dans l'après-guerre, ainsi que le développement d'un certain nombre de politiques publiques qui allaient de soi, tout s'est fait parce qu'on avait été au bout de l'horreur. Et que donc il fallait bien se tourner vers autre chose et fabriquer du commun, du collectif. De Lucca appelle ça «la malédiction faite à la guerre», à un moment donné on s'est dit “plus jamais ça, allons vers autre chose” ; puis ce raisonnement s'épuise, on ne retient rien - la notion de mémoire populaire est une vaste plaisanterie, on a l'impression d'être dans une impunité absolue. Et quand tu regardes l'histoire de l'Europe, pas seulement sur une séquence de 50 ans mais sur le long terme, ça a toujours été extrêmement violent et guerrier. Alors on peut toujours discuter de la forme de ce qu'on propose, mais au moins je trouve que ce sont des espaces où tu peux prendre le temps d'entendre des informations que tu n'as pas forcément, que tu vas pouvoir analyser, avoir des idées confrontées par des gens qui ne sont pas du même bord et qui normalement devraient sortir de la pensée unique. Logiquement, l'événement sert à ça, c'est du moins ce que je vais essayer de surveiller.C'est du procès d'intention, mais j'avais pris l'intitulé Un nouveau monde pour une interrogation, et les énoncés des débats sous-tendent plutôt une affirmation…
Quand tu lis les titres, tu retrouves quand même la prosodie du journal, c'est leur façon d'écrire. Ça dépend des sujets, tu as effectivement des choses plus ou moins lacaniennes, comme La fin de la sociale démocratie ?, ils auraient presque pu enlever le point d'interrogation, poser la question comme ça, c'est quasiment y répondre. Médicaments pour le Sud, des brevets ou la vie, ça cadre bien le débat aussi. Ça pose des enjeux, peut-être de façon caricaturale, mais les enjeux restent importants.Quelle a été l'implication de la MC2 dans l'élaboration de l'événement ?
Il y a eu cet hiver une étape où l'on a débroussaillé les thèmes, et où j'étais présent. On a soulevé les vraies difficultés à traiter de la mondialisation à cause des problèmes de langue, de moyens, ce n'était pas évident. On a fait en sorte que les questions de la Chine et de la Russie soient traitées, qu'il y ait une dynamique dans la grille, qu'il y ait un côté festivalier, notamment avec notre volonté d'y greffer un spectacle (Febre). La ligne éditoriale et le final cut appartiennent à Libé.Y a-t-il eu un rééquilibrage entre le temps des paroles des intervenants et les questions du public ?
Normalement, on est toujours sur 90 minutes, avec respectivement une heure et une demi-heure. Mais c'est le schéma de base, après, ça peut être fluctuant. Ce qui est important, c'est le rôle des modérateurs, l'an dernier, ils avaient une fâcheuse tendance à laisser les intervenants faire ce qu'ils voulaient. Certes, il y a des invités qui sont passionnants quand ils digressent, mais il faudra arriver à être concis. Si je devais souhaiter deux choses, ce serait qu'on soit plus détendu sur les questions de sécurité, et que les débats soient mieux préparés que l'an dernier, qu'on aille plus loin dans la qualité des paroles que l'on porte et dans l'importance qu'on arrive à conférer au public. Forum Libération
Du 19 au 21 septembre,
à la MC2


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