Ne tirez pas sur le pianiste


Une voix de crécelle balance «Catastrophe !» d'un air mutin, une mélodie doucettement pianotée, parente des ambiances sonores des fables animalières de Thomas Fersen, s'élève alors, avant que les premières paroles ne se fassent entendre, «Il est 20h j'ai froid aux pieds, en pyjama sur le palier». A peine 20 secondes du dernier disque d'Albin de la Simone, Bungalow, se sont écoulées, et là, logiquement, les réfractaires de la nouvelle chanson française commencent à craindre le pire, s'approchent de la fenêtre la plus accessible juste au cas où. La suite leur donne tort : s'ils s'étaient un peu mieux renseignés, ils auraient su que notre homme est un grand spécialiste de la fausse légèreté, de la ballade piégée, de la ritournelle retorse, dont le timbre patelin est une invitation à rentrer dans une prose aux charmes précieux. Cet ancien pianiste jazz s'est dans un premier temps fait remarquer par ses collaborations comme arrangeur ou musicien pour un panel incroyablement varié d'interprètes francophones (de Vanessa Paradis à Mathieu Boogaerts en passant par Arthur H ou Alain Souchon). Il saute le pas en 2003 avec son premier album éponyme, où il s'adonne notamment aux joies du duo avec Souchon et Feist, confirme tout le bien qu'on pensait de lui avec le très bon Je vais changer deux ans plus tard (on vous conseille sa très sucrée reprise de Somethin' Stupid des Sinatra avec Jeanne Cherhal). Il continue parallèlement ses activités extra-discographiques, filant un coup de main à ses prestigieux camarades (Vincent Delerm, Vanessa Paradis, Keren Ann, Adrienne Pauly, on vous fait grâce de la liste exhaustive), participant au (plutôt bon) projet The Wantones (un collectif d'artistes qui proposaient un florilège de reprises de chansons nommées I want you). Pour son troisième album, Bungalow, il s'en va kiffer la vibe de Bali et revient avec dans ses besaces des compositions toujours aussi joliment foutraques, où le plaisir de la langue (écouter le très beau J'aime lire pour s'en convaincre) louvoie avec des orchestrations peut-être un peu trop solaires, mais dont la saveur désuète finit par faire taire nos doutes fielleux. FC

Albin de la Simone, jeudi 29 janvier à 20h30, au Théâtre Ste-Marie-d'en-Bas


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L'art et les bonnes manières