L'amour et la violence

Théâtre / Jean-Cyril Vadi met en scène son texte Je te connais depuis longtemps, qui évoque le deuil impossible d'un enfant disparu. On l'a rencontré pour en savoir plus, et il nous a parlé de magie, de vengeance, du Christ, du Graal… Propos recueillis par Aurélien Martinez


Petit Bulletin : C'est la première fois que vous mettez en scène l'un de vos textes…
Jean-Cyril Vadi : J'ai le sentiment d'avoir longtemps tourné autour du pot, notamment en montant les textes d'autres, même si c'était nécessaire dans l'apprentissage de la direction d'acteur, de la mise en scène… J'ai eu la possibilité de partir à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon en 2007, en résidence d'écriture, où j'ai commencé à travaillé sur Je te connais depuis longtemps. J'avais envie de retrouver quelqu'un de récurent dans les pièces que je montais, d'où ma décision d'écrire à partir d'un personnage central qui s'appelle Franck Nogent, une sorte d'archétypique de l'homme contemporain. Je te connais depuis longtemps est ainsi la première pièce d'une sorte de série autour de ce personnage qui traverse une petite tragédie contemporaine.Je te connais depuis longtemps évoque la mort d'un enfant…
C'est l'histoire d'un père qui n'a jamais retrouvé la trace de son fils disparu. Il apprend alors à en faire le deuil malgré tout. Pendant ce temps, il s'invente une histoire dans laquelle il a un fils qu'il n'a pas revu depuis longtemps ; ce fils meurt et il peut le venger. Et il prend conscience, à la fin de cette histoire qu'il se raconte, que ce n'est pas son enfant qu'il a convoqué, mais son enfance. Il y a donc un télescopage en lui, une superposition entre son enfant disparu et sa propre enfance assassinée… En gros, pour résumer, c'est l'histoire d'un homme qui rencontre un jour sur le chemin l'enfant qu'il a été. C'est assez métaphysique de ce point de vue là !Mais c'est traité sous l'angle de l'intrigue policière…
Il y a plusieurs codes de jeu. Le polar, mais aussi le rêve, l'onirisme ; ce ne sont que des prétextes. La pièce prend l'apparence d'un polar – un homme venge la mort de son fils –, mais ça témoigne plus des propres clichés de Franck, de l'état d'esprit dans lequel il est quand il se raconte cette histoire. Tout comme l'onirisme est un moyen de parler du deuil, de ce que l'on a fait de l'enfant en nous, la place qu'on lui laisse, mais aussi plus largement de l'inconscient qui nous guide dans la vie, de l'impact de l'instinct sur la raison… Car Franck est avant tout un homme en chantier…Et comment avez-vous retranscrit cet aspect de Franck sur scène ?
J'ai pris le parti d'avoir un décor très cinémascope, avec derrière une usine à rêves matérialisée avec l'utilisation de la magie qui me permet de décliner l'apparition et la disparition. Mais c'est très difficile au théâtre, comme tout est devant nos yeux... Qu'est ce qui est vrai au théâtre, qu'est ce qui ne l'est pas, c'est compliqué… Pour faire entendre qu'il y a des moments réels – notamment avec Marie, la fille avec laquelle il vit –, il y a trois scènes qui reviennent de manière récurrente, qui permettront aux spectateurs de s'ancrer dans quelque chose de véridique, et ainsi comprendre que le reste ne l'est pas, notamment avec le recours à des décalages dans le jeu des acteurs. Mais c'est difficile… Des fois, il se passe sur scène des choses burlesques, voire grotesques – que fait ce tueur à gage avec un jambon cru dans la main ? (je dis n'importe quoi là, c'est un exemple !) – qui pourtant ne doivent pas faire décrocher le spectateur de l'histoire.Une histoire que vous rapprochez du chemin de croix du Christ…
Franck fait un double itinéraire qui ressemble à la croix. Il y a un itinéraire horizontal – l'histoire de la vengeance – qui est narratif, chronologique, et un autre beaucoup plus vertical, avec cette descente aux enfers à la recherche de ses propres ténèbres pour réussir à pacifier les choses. On a ainsi beaucoup parlé du Graal avec les comédiens…JE TE CONNAIS DEPUIS LONGTEMPS
Du mar 27 au sam 31
à la MC2.


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