Les Trois royaumes

Digest pour le public occidental d’une vaste fresque de cinq heures relatant une bataille clé de l’Histoire chinoise, le nouveau John Woo, par son sens du spectacle et sa dramaturgie complexe sinon confuse, se présente comme un blockbuster involontairement expérimentale ! Christophe Chabert


Si certains avaient des réticences à voir un film de 2h30 sur l’Histoire chinoise, qu’ils ne se rassurent pas tout de suite : au terme du prologue censé expliquer au spectateur à coups de voix-off et de banc-titre le contexte et les principaux personnages de l’œuvre à venir, on est toujours en train de se creuser les méninges. Perplexité vite bousculée par la première scène d’action, où se déploie l’intensité de la mise en scène d’un John Woo de retour le sabre entre les dents après son expérience mi-figue mi-raisin à Hollywood. Les Trois royaumes, du moins dans sa version pour le public occidental, est donc un spectacle aussi étourdissant qu’incompréhensible. On y raconte une bataille épique (celle de la Falaise rouge) qui opposa en l’an 208 les armées de deux Royaumes séparatistes à celles de l’Empereur de Chine et de son Premier ministre. Mais ce qu’on voit à l’écran, ce sont surtout des combats filmés avec une virtuosité vertigineuse, interprétés par des acteurs iconisés à l’extrême, généraux d’un échiquier stratégique qui devient le squelette scénaristique du film, comme un war game antique dont on aurait supprimé l’interactivité pour ne garder que les cinématiques.Baston sur la falaise
Les Trois royaumes a donc un petit côté blockbuster expérimental, probablement involontaire, mais qui fait son charme. Ainsi, à la mécanique de l’action-réaction qui structure d’ordinaire les scénarios, John Woo préfère conduire son récit selon les préceptes de l’art de la guerre, transformant chaque séquence en morceau de bravoure potentiel. Que ce soit un duel musical avec des instruments traditionnels, un habile stratagème pour récupérer les flèches ennemies ou une partie de foot à la Shaolin soccer, tout est prétexte à déployer son art du découpage et du montage, cette manière de déconstruire l’espace et de le redéployer dans un temps purement cinématographique. Ce rouleau compresseur n’est cependant pas sans dommages collatéraux, à commencer par les incartades romantiques auxquelles le film tente de nous attacher. Cette utilisation des clichés sans la moindre once d’ironie n’a jamais été ce qu’on préfère chez John Woo ; mais ici, au milieu du bruit et de la fureur, cette naïveté est franchement hors sujet. En revanche, quand il se lance à corps perdu dans une relecture fougueuse des genres populaires (du western au film de sabre), Les Trois royaumes devient un film abscons, mais assez jouissif.Les Trois Royaumes
De John Woo (Chine, 2h25) avec Tony Leung Chiu Wai, Takeshi Kaneshiro…


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