LA SANGRE BROTA

De Pablo Fendrick (Arg-Fr-All, 1h40) avec Arturo Goetz, Nahuel Perez Biscayart…


On pourrait se dire que le réalisateur est un disciple des frères Dardenne : l'argument du film (comment récupérer une somme d'argent pour l'envoyer au fils absent), la caméra à l'épaule proche des acteurs, la manière de concevoir la misère sociale non comme une fatalité, mais comme un engrenage mettant les valeurs morales à l'épreuve, révélant ainsi les pires travers des individus, le laissent supposer. Mais le cinéaste abolit la distance réglementaire (au propre comme un figuré) pour que ces idées soient parfaitement lisibles pour le spectateur. Ici, ce sont les sens, et pas seulement le sens, qui sont sollicités. Autant dire que La Sangre brota est une œuvre exigeante, d'une noirceur absolue, avançant à l'aveugle dans un chaos visuel, sonore et mental qui ne se dissipe que lors d'une explosion de violence tétanisante. Impossible de ne pas comparer, du coup, ce film avec le médiocre Los Bastardos sorti en début d'année. Là où Escalante faisait mariner le spectateur dans le malaise puis lui jetait à la tronche une déflagration gore avant de lui claquer le film au nez, Fendrick choisit le temps réel pour faire ressentir patiemment le quotidien sinistre de ses esclaves frustrés aux ambitions minables, qui ne trouvent rien de mieux que de se détruire les uns les autres plutôt que de se révolter contre ceux qui les avilissent. Les dernières séquences, incroyables d'intensité, où chaque coup marque autant les personnages que le spectateur, sont sans doute ce qu'on a vu de plus fort sur un écran cette année. Cette table rase finale est d'autant plus saisissante qu'elle dissipe toute idée, jusqu'ici caressée, d'amour filial ou fraternel ; en fait, il n'y a que des pantins aux ficelles coupées…Christophe Chabert


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