The Informant !

Drôle de film à défaut d'être un film drôle, le nouveau Soderbergh raconte l'escroquerie (moyenne) d'un Américain (moyen) au cœur d'un monde si rigide qu'il est incapable de gérer l'ingérable. Christophe Chabert


Pour saisir en quoi The Informant ! est un film curieux, le plus intéressant signé par son auteur depuis Bubble, il convient de faire une petite comparaison avec le Burn after reading de Joel et Ethan Coen. Alors que les frangins propulsaient dans les hautes strates du pouvoir américain une bande d'idiots aveuglés par leurs ambitions dérisoires, et mettaient en scène cette screwball comedy avec des accents de tragédie, Soderbergh fait ici rigoureusement l'inverse. Le générique du film est un hommage au très sérieux Klute de Pakula, et la tonalité de l'image, aux lumières baveuses et aux cadres lâches, rappelle le cinéma de Sidney Lumet. Globalement, l'aventure incroyable mais vraie de Mark Whitacre, chimiste travaillant au fin fond de l'Illinois sur la production industrielle de maïs, pourrait à l'écran ressembler à un pur drame de la mythomanie. Whitacre décide de donner un coup de pouce à l'ascenseur social en montant un gigantesque bobard dont on a du mal à définir où il commence et surtout, où il était censé finir. Américain moyen (Matt Damon avec sa bedaine et sa moustache en fait une sorte d'Homer Simpson !) à l'environnement mou — il aime les romans de Michael Crichton, il traverse le monde avec les yeux d'un touriste las — ce personnage improbable devient un indic du FBI tout en détournant des sommes gigantesques à l'entreprise dont il révèle les méthodes frauduleuses aux autorités.

Un dingo au FBI

Soderbergh choisit de pénétrer l'esprit tordu de Whitacre en révélant ses pensées sous forme d'aphorismes en voix-off. Mais ce ne sont que des banalités rêveuses et des réflexions pseudo-scientifiques. Rien là-dedans ne vient éclairer les agissements du personnage, mais cet arrière-plan révèle sa confusion sans que celle-ci n'apparaisse jamais à ses interlocuteurs. The Informant ! tient ici sa piste la plus passionnante : par cette logorrhée sans fond et par l'utilisation d'une musique clairement parodique, Soderbergh indique au spectateur que tout cela n'est qu'une grande fumisterie. Et pourtant, à l'écran, tous ceux qui approchent Whitacre, même les plus intelligents, gobent ses mensonges, trop heureux de trouver un partenaire à leurs croisades. Le monde figé et codifié dans lequel évolue le personnage ne peut pas concevoir la présence d'un dingue en son sein, et c'est en définitive l'institution qui s'adapte, le cinglé s'entêtant dans sa folie, y trouvant même une certaine légitimité. Whitacre, jusqu'à la fin, pense être dans son droit : il n'a fait que respecter l'american dream à la lettre, avec quelques entorses à la loi, toujours pour la bonne cause !

The Informant !
De Steven Soderbergh (ÉU, 1h47) avec Matt Damon, Scott Bakula…


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