"Témoins ordinaires" : ceci est mon corps


Pour symboliser l'atroce sur scène, il y a plusieurs manières : on peut par exemple y aller franco, façon Rodrigo Garcia lorsqu'il violente ses interprètes avec divers bains de ketchup et autres chorégraphies animalières ; ou, à l'opposé, décider seulement de suggérer l'horreur par les mots, les gestes, la scénographie… C'est la voie choisie par le chorégraphe Rachid Ouramdane qui, au fil de ses créations, se confronte à des sujets pas franchement funs (son dernier spectacle évoquait ainsi la guerre d'Indochine). Avec Des Témoins ordinaires, il s'attaque cette fois-ci à la question de la torture.

Sur scène, des écrans diffusent des interviews brutes de ces témoins, anciennes victimes venues de Tchétchénie, du Rwanda, de Palestine, du Brésil ou encore du Chili. En ressortent des propos forts, qui forcément suscitent l'empathie chez le spectateur sans pour autant l'amener dans le tire-larmes gros sabots. À côté, la chorégraphie de Rachid Ouramdane se fait épurée, froide, segmentée, portée par des interprètes malléables, insaisissables, hypnotiques, en perpétuelle contorsion. Un moment glaçant parmi d'autres : celui où une danseuse se fait emporter, seule, dans un vertigineux tournoiement qu'elle ne semble plus contrôler. Son corps devient alors un objet insaisissable, connu et inconnu à la fois : sans doute ce que doivent ressentir les victimes de torture.

Mais le spectacle, d'abord intense et percutant dans sa première demi-heure, finit par tomber dans la redondance au fil des 1h30 de représentation, où se succèdent témoignages et chorégraphie. Ouramdane aurait renforcé son propos en faisant moins fleuve et plus resserré. Et on aurait été encore plus emballés.

Aurélien Martinez

DES TÉMOINS ORDINAIRES
Du mercredi 9 au vendredi 11 décembre, à la MC2


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