Gainsbourg (vie héroïque)

De Joann Sfar (Fr, 2h10) avec Eric Elmosnino, Lucy Gordon, Lætitia Casta…


Étrange objet que ce premier long réalisé par le génial dessinateur et scénariste Joann Sfar. La première partie répond peu ou prou au programme d'un biopic musical : on y suit le parcours du jeune Lucien Ginzburg, fils d'un pianiste russe immigré en France. Il se rêve peintre et subit l'humiliation d'être juif pendant l'occupation allemande. Sfar y pose les bases de sa thèse : traumatisé par sa gueule de juif, Ginzburg, devenu Gainsbourg, prendra sa revanche sur un pays qui l'a stigmatisé en s'appropriant ses symboles (icônes féminines et Marseillaise), devenant un héros national mais se composant un masque indélébile et trop lourd à porter. Ce discours passe un peu en force et ne constitue pas l'élément le plus passionnant du film (sinon ses moments les plus ratés, comme l'enregistrement d'Aux armes et cætera ou la poursuite par le «monstre» dans les rues). En revanche, Sfar fait preuve d'un réel talent de conteur et de dialoguiste, qu'il complète dans la deuxième partie par de purs moments de cinéma arrachés à la légende de Gainsbourg. Le défilé des femmes célèbres et sublimes donne lieu à des instants d'érotisme magnifiques (Casta, en Bardot qui danse nue derrière un drap cachant son anatomie, affole les sens), de belles scènes de comédie ou de tragédie. Au-delà de Gainsbourg, c'est à un autoportrait que Sfar se livre ici, peignant de sa main les toiles du jeune Ginzburg et projetant sur le personnage ses propres obsessions. C'est criant lorsqu'il laisse divaguer sa caméra lors de l'étonnante accélération finale, qui n'est plus qu'ébauches touchantes posées les unes à côté des autres. Une fin qui ressemble à celle de Gainsbourg : de la beauté arrachée au milieu du chaos.
CC


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«Une détestation de soi existentielle»