Coquilles vides

Le jeune artiste Cyril Hatt expose au Vog ses reproductions en 3D d'objets de consommation faites de photos agrafées, modelant l'image et la perception des objets en question. Laetitia Giry


Le procédé est simple, bien qu'on le soupçonne fort laborieux, et le résultat pour le moins spectaculaire. Car les sculptures de cet artiste, légères et fragiles, sont le fruit d'un travail minutieux d'assemblage de pièces – les photos – préalablement prises de manière à couvrir chaque centimètre carré de l'objet dans l'optique de le reconstruire en 3D. Dans la première salle, l'ambiance garage fait sourire : pompe à essence, pièces posées çà et là, et la voiture autour de laquelle on tourne, incrédules, vérifiant non sans une certaine admiration que l'intérieur est tout aussi fidèle à la réalité que la carrosserie. Morcelée, cabossée, cette cicatrice ambulante nous plaît assez. Cyril Hatt s'attaque aux « icônes de notre société », aux « marqueurs sociaux culturellement très parlants ». La liste est longue, et sa série de baskets figure bien la déconstruction de la mise en scène élaborée autour de l'objet. Les signes ostentatoires du luxe n'échappent pas à ses agrafes : une Rolex (détail qui fait mouche, même si l'implication purement revendicative au niveau politique reste très anecdotique), un sac Hermès ou, comble du chic, une paire de chaussures Christian Louboutin (la fameuse semelle rouge). Son travail acquiert une nouvelle dimension dans la dernière salle : au sol, une bonne quinzaine de tableaux (reconstitués), tous ornés d'un cadre doré dont la préciosité est, comme qui dirait, bafouée sans vergogne.Enfants de la pub
La démarche de l'artiste s'inscrit ainsi dans une logique de réappropriation et de l'objet, et de ce qu'il signifie dans le continuum social. L'usage relativement novateur de la photo comme matériau - son détournement – et le vide béant proprement mimétique des sculptures obéissent à la théorie du philosophe Jacques Rancière selon laquelle « le régime esthétique des arts est d'abord un régime nouveau du rapport à l'ancien, une manière de constituer comme principe même d'artisticité un rapport d'expression d'un temps et d'un état de civilisation. » Dans notre royaume des apparences, le sacre de l'image comme moyen d'envoûter (ou d'endormir) n'est plus à prouver. Le nombre de publicités perçues au quotidien par un citadin moyen se compte par milliers et l'overdose menace à tout instant. Que l'artiste apprécie l'aspect brillant de la photo rappelant avec ironie « le glam auquel on ne peut accéder » est révélateur, au même titre que ses simulacres prenant le pouls d'une réalité contemporaine sans pour autant la condamner. Une manière ludique d'aborder la vacuité du vertige de la consommation.Cyril Hatt
Jusqu'au 20 février, au Voghttp://www.bertrandgrimont.com


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A serious man