Cruelle beauté

Pour fêter ses 20 ans d'existence, l'Espace Vallès nous a concocté une exposition collective fidèle à ses aspirations habituelles : celles de la promotion sans complaisance d'un art contemporain varié et élégamment mis en scène. Laetitia Giry


Donner un espace de représentation à huit artistes pour une même exposition n'est pas chose aisée. Baraka évite l'écueil de la boulimie en privilégiant une gourmandise parcimonieuse : les œuvres se mettent en valeur plus qu'elles ne se font d'ombre. La pièce « Pêcher / Hors ciel » de Gonnet trône crânement au rez-de-chaussée, s'assumant dans son imposante stature et jouant un jeu délicat avec les clichés qu'elle dissimule. De cet enchevêtrement de bois – jambes graciles ancrées dans de solides piquets d'or – se dégage un mystère tenant à la dialectique nature et culture, galvaudée mais encore éloquente parfois. Au-delà de cette robuste dentelle, trois photographies de Joel Peter Witkin, artiste dont la réputation n'est plus à faire, profitent du vaste mur blanc pour se dévoiler sans pudeur. Ces tirages argentiques à la beauté provocante : du petit autoportrait à l'insolence parfaite (œil perçant, masque noir orné d'un Jésus à la blancheur virginale) au majestueux portrait « Vanité », redonnent son sens premier à la notion de regard : ravissement et captivité.Gloire du monstre
Une fois l'étage atteint, le dialogue entre les œuvres devient évident. Un cliché plus récent de Witkin vient modifier la perception des premiers aperçus : torturé, écorché, malmené, le portrait s'épanouit dans un dégoût assumé, faisant du disgracieux le contre-pied adéquat pour une réflexion sur l'idée de beauté, fidèle à une esthétique érotico macabre troublante. En écho, le travail de Line Orcière prolonge un message cohérent sur la confrontation du beau et du laid : ses « mouches » à la délicatesse poivrée, sauvage et rustique, et dont la préciosité camoufle une douceur innervée cruelle, s'exposent sagement les unes à côté des autres, dans un silence non dénué d'ironie. Confectionnées à partir d'animaux morts, toujours dans un « souci de beauté et d'esthétisme, non par futilité, mais comme leurre », ses œuvres intriguent. Dans une logique d'opposition complète s'apprécient les clichés à la pureté saisissante du jeune chinois Song Chao. Ce mineur passionné de photographie nous livre des œuvres à la vérité nue – portraits bruts des ses compagnons de la mine – dont le dénuement sophistiqué et l'évidence de la qualité plastique ont de quoi interpeller. La toile noire goudron de Balmet, brillant des feux d'or d'un vulgaire papier cadeau est l'étincelle nécessaire au délicat embrasement d'un tout qui s'apprécie donc sans broncher.Baraka
Jusqu'au 24 avril, à l'Espace Vallès


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