Dynamique duo


C'est un euphémisme d'affirmer que, dans le paysage de la bande-dessinée actuelle, Charles Berbérian et Philippe Dupuy détonnent. D'une part en raison de leur mode de fonctionnement. Le premier est d'origine irakienne et arbore un physique d'intellectuel chafouin. Le second est français de souche et a des airs d'ours mal léché. Mais cela n'a aucune espèce d'importance : lorsqu'ils s'activent dans leur atelier, ils deviennent Dupuy-Berberian, auteur bicéphale et quadrumane révéré pour le mordant de son humour et la tendresse du regard qu'il porte sur ses contemporains, pour l'élégance de son trait et la liberté qui caractérise son approche des proportions et de la perspective, bref pour son art du grand écart à faire passer Jean-Claude Van Damme pour l'homme de fer du Magicien d'Oz de Lyman Frank Baum. Débutée dans les pages de fanzines par définition marginaux avant que les joyeux drilles de Fluide Glacial ne lui tende les bras, la carrière du duo est à l'avenant. Ses silhouettes élancées habitent aussi bien les collections des éditeurs les plus pointus, à l'image de ces carnets de voyage publiés chez Cornélius, que celles d'institutions du calibre de Dupuis, où sont consignés les déboires et tracas de Monsieur Jean, trentenaire urbain, célibataire et loin d'être étranger à la canonisation de ses géniteurs au Festival d'Angoulême en 2008. Pour autant, leur présence sur la scène de La Source aux côtés de Rodolphe Burger est-elle légitime ? Pleinement, et pas seulement parce que de Manu Larcenet à Blutch, de plus en plus nombreux sont les auteurs à s'essayer à l'exercice de la performance live. Elle l'est surtout car Dupuy et Berbérian sont incapables de se recroqueviller dans une bulle : investissant en tant que graphistes des domaines aussi divers que ceux de la musique (Coup de foudre de Jacques Higelin), du cinéma (The Navigators de Ken Loach), du vin (le caviste Nicolas) et de la presse (The New Yorker, Libération...), ils sont même rarement aussi intéressants que lorsqu'ils se mettent en danger.
Benjamin MIALOT


<< article précédent
Frissons taxidermiques