Grenoble : attention, chantiers

Théâtre / Enjeu décisif de l'orientation de la ville en termes de politique culturelle, le devenir du Théâtre 145 ne manque pas de centraliser toutes les inquiétudes quant à la sauvegarde d'une certaine conception de la démocratisation culturelle… François Cau


Rappel pour les distraits : en décembre prochain, la convention entre les Barbarins Fourchus et la Ville de Grenoble, qui confiait aux premiers la gestion et l'animation du Théâtre 145, prendra fin. Les artistes, après avoir encaissé le coup, ont bien volontiers admis que le renouvellement, au bout de dix années d'activité, pouvait avoir du bon. Via leur réunion publique du 18 mars dernier, les joyeux cabotins ont bien pris soin de ne pas personnaliser le débat : comme l'a exprimé en introduction l'aîné de la bande, Lino, en bondissant d'un fauteuil roulant avec un panache certain, les Barbarins sont réputés pour leur caractère inoxydable. Non, ce qui les inquiète, eux et bon nombre d'habitués du lieu, c'est le maintien de leur travail de médiation au sein du quartier Berriat St-Bruno, dont la qualité a d'ailleurs été reconnue par la Ville. Via des ateliers, rencontres, animations pour tout public (telles que les bals ou les cinémas de quartier), les Barbarins ont réussi à décomplexer ceux qui n'auraient jamais franchi les portes du théâtre en s'imaginant à tort que cette culture n'est pas pour eux. Un travail dont les Barbarins n'ont pas manqué de souligner l'importance toujours prégnante dans ce même quartier lors de leurs rencontres avec la municipalité, laquelle a d'ailleurs abondé en ce sens. Cet objectif rentre, paradoxalement pourrait-on dire, en parfaite symbiose avec ceux fixés par l'adjointe à la Culture Eliane Baracetti pour son mandat…

Le colosse s'érode

«La politique culturelle de Grenoble a connu un tel rayonnement qu'elle a attiré énormément de partenariats croisés avec le Conseil Général, l'Etat… Des énergies formidables, qui ont cependant fait de la ville un colosse aux pieds d'argile ; c'est un château de cartes, si les partenaires se retirent pour tout ou partie, tout peut s'écrouler, y compris pour les équipements municipaux. C'est pour ça que je ne serai pas une grande constructrice, ma priorité est de consolider l'existant. Dans cet esprit, nous voulons aussi mettre fin à cette idée qu'il y aurait des lieux élitaires et d'autres qui mènent une action sur le terrain. Comme je le dis, Picasso appartient à tout le monde». Dans le même ordre d'idées, sont également évoqués par l'adjointe une plus grande circulation des publics, un accès généralisé au foisonnement artistique de la ville… Bref, des convictions défendues par les actuels tauliers du 145. Interrogée sur leur projet, Eliane Baracetti évoque l'expansion culturelle qu'a connue le quartier Berriat St-Bruno dans la décennie écoulée, et pose la question d'actions similaires, pourquoi pas avec le concours des Barbarins, dans d'autres quartiers «moins dotés culturellement» - les intéressés ayant souligné qu'un tel boulot était de longue haleine, qu'il leur avait fallu plusieurs années pour le mener à bien... Et l'adjointe de préciser, après mutine insistance de notre part, le projet envisagé pour le lieu.

Pourquoi pas…

Tout cela étant en cours d'analyse et de concertation, le conditionnel est de mise : le but serait d'offrir un éventail de lieux théâtraux aussi varié et complémentaire localement que dans les domaines de la musique et de la danse. Payant les pots cassés de la fermeture du Rio, «les compagnies locales n'ont pas de juste milieu entre des représentations au Théâtre de Création et la MC2». Partant, l'idée serait de redéfinir le pôle théâtre de la ville, de faire du 145 un lieu qui permettrait aux jeunes compagnies de monter leur création dans des conditions plus souples (avec des temps de résidence accrus, qui permettraient des échanges avec le public), avec notamment le soutien logistique des ateliers costumes et décors du Théâtre de Grenoble, mais également de promouvoir une plus grande diversité de l'existant. «Pourquoi pas Serge Papagalli dans une petite forme au Théâtre de Création ?», en effet, pourquoi pas. Eliane Baracetti se défend de fait de vouloir concocter un paysage en escalier, où les débutants iraient au Théâtre de Création, puis au 145 s'ils ont été sages, et enfin à la MC2 s'ils ont vraiment été très, très gentils. Nope, le but de la manœuvre serait d'ouvrir encore plus les lieux, d'y impliquer des artistes potentiellement regroupés en collectif pour la programmation, mais «ce projet prend du temps, je ne veux pas précipiter les choses». L'adjointe s'accompagne dans sa réflexion du concours de Valère Bertrand, créateur du Pot-au-Noir, avec la volonté de créer une impulsion rappelant la convivialité de ce lieu retranché du Triève… Si l'on attend de voir la concrétisation de cette idée, on peut toujours graver dans le marbre (enfin presque) la volonté affichée par l'adjointe : «c'est un lieu qui doit vivre, une maison des artistes qui doit avoir une âme, dont les compagnies puissent s'emparer. Un théâtre qui soit encore plus ouvert, dont les habitants ne seraient pas orphelins».


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La Corde