Vision décalée

Présentation de la neuvième édition de Vues d'en face, l'incontournable festival du film gay et lesbien de Grenoble qui, comme à son habitude, fait le grand écart cinématographique. Aurélien Martinez


Chaque mois d'avril, c'est la même ritournelle : Vues d'en face envahit à nouveau le cinéma Le Club, pour dévoiler au public sa dernière sélection gay et lesbienne. Mais au fait, le cinéma gay et lesbien, c'est quoi ? Bonne question, à laquelle on peut apporter des réponses multiples et non exclusives. Le but du festival est ainsi « de promouvoir des œuvres cinématographiques présentant des personnages ou des thématiques gays et lesbiens et de diffuser des films français et étrangers ignorés des circuits de distribution et d'exploitation » dixit le petit programme du festival. Avec, en parallèle, « l'idée de contribuer à l'évolution des mentalités ». Cette mission chevillée au corps, l'équipe organisatrice part donc chaque année à la recherche de la perle rare. Une perle qu'elle trouve quelques fois, même si pour cela, le spectateur doit passer par des fausses pistes chaotiques inhérentes à cette recherche du Saint Graal cinématographique.

Coups de cœur

Ainsi, au programme cette année, on dénombre une bonne vingtaine de propositions, dont la plupart inédites à Grenoble. Si, sur la moitié que l'on a pu voir, certaines nous ont laissés de marbre, d'autres ont en revanche retenu notre attention, à l'image du Dernier été de la Boyita. La réalisatrice argentine Julia Solomonoff livre ici une œuvre pudique sur un thème finalement assez méconnu – à savoir la découverte par un jeune garçon de son hermaphrodisme. Aidé par une amie (alors que sa famille fait semblant de ne rien voir), il va apprendre à l'accepter, et ainsi quitter avec violence le monde de l'enfance. Fucking different Tel Aviv ensuite : une série de courts-métrages réalisés par des cinéastes gays et lesbiens qui évoquent leur ville hétéroclite et la sexualité de l'autre genre (les gays filment les lesbiennes et inversement). Si le résultat est inégal, certains courts sortent du lot, notamment quand les réalisateurs utilisent l'humour et l'ironie à bon escient pour aborder le conflit israélo-palestinien. Mais le film qui a le plus retenu notre attention est sans conteste le Vil romance de l'Argentin José Campusano. En s'intéressant aux relations de domination entre un homme d'une cinquantaine d'années et un petit jeune d'à peine vingt ans, l'ancien documentariste dépeint une réalité crue avec des personnages marginaux que la société a laissés sur le bord de la route. Vil romance (photo) est une véritable œuvre cinématographique qui, même si elle souffre de quelques longueurs, devient une chronique sociale naturaliste marquante, ne se réduisant pas à la seule homosexualité de ses personnages principaux.

Il va y avoir du sport

A côté de ces longs-métrages ambitieux, on en trouve d'autres, plus bancals. A l'image des deux documentaires qui traitent du milieu sportif… pas forcément très gay friendly ! Vues d'en face projette ainsi le Sport et homosexualités de Michel Royer, diffusé sur Canal + en janvier dernier. Une série de témoignages de sportifs masculins et féminins ouvertement homosexuels, complétée par des analyses d'intellectuels et de professionnels du sport : si le propos est évidemment intéressant et rompt ainsi la loi du silence, la réalisation appuyée et les interviews pas toujours très pertinentes amoindrissent le rendu final. Les Garçons de la piscine ensuite, l'autre documentaire parlant de sport, est assez original, Louis Dupont ayant choisi de suivre trois nageurs pratiquant la natation synchronisée au sein du club Paris Aquatique. Oui, oui, la natation synchronisée, un sport victime de sexisme puisque a priori réservé aux filles. Les trois garçons sont donc filmés lors de l'entraînement, en pleine préparation de diverses compétitions. Problème : le film, censé mettre à mal les préjugés, finit par les renforcer en faisant tout un laïus autour de la sexualité de ces trois nageurs homosexuels (leur entraîneuse vante ainsi cet aspect qui permettrait de souder l'équipe autour d'elle et d'avoir une belle cohésion de groupe puisque tous les garçons se ressemblent). Mouais… Car au final, on ne se dit plus que la natation synchronisée est un sport réservé seulement aux filles, mais un sport réservé qu'aux filles et aux homos. Triste.

Cal et les garçons

Poursuivons le déroulé de la sélection, en passant rapidement sur les offres inhérentes à ce genre de festival (à savoir les films légers comme Eating out 3 ou encore le très agréable And then came Lola, remake lesbien du célèbre Cours, Lola, cours), pour présenter notre coup de cœur nanardesque de cette année. Première réalisation de l'Anglais Simon Pearce, Shank traite de l'homophobie criante dans les gangs anglais en se penchant sur l'itinéraire de Cal, brute homosexuelle repentie qui s'attache à l'un des garçons bon chic bon genre que ses potes et lui ont tabassé. Si l'on croit deviner ici et là quelques références à Ken Loach, on assiste finalement à un film faussement noir lorgnant du côté de l'érotisme sentimentaliste low cost, le tout écrit et réalisé à la façon d'un épisode d'AB Production. On n'a jamais autant ri devant un sujet censé être grave (mention spéciale pour le dernier quart d'heure), et franchement, si vous êtes en quête de nouvelles sensations, ça vaut le détour !

VUES D'EN FACE
Jusqu'au mardi 27 avril, au Club. Programme complet en rubrique cinéma


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