L'enfer est ici

Au sortir de quatre années de stand-by, le groupe Programme revient traumatiser les cœurs impurs, les âmes pas si innocentes, les oreilles demandant à être décrasser, les cyniques de tous poils encore sous le joug, les inconscients, de la certitude qu'une performance live ne pourra jamais les bouleverser. FC


La précédente représentation de Programme au Ciel, il y a maintenant huit ans, a grandement participé à la construction de la légende du lieu. Le genre de concert à ce point marquant que si vous faites le décompte des personnes qui étaient censées y être, vous obtenez deux à trois fois la jauge de la salle. Ce putain de live, il fallait impérativement en avoir été ou vous repaître, en vous mordant l'intérieur des joues pour ne pas laisser la jalousie vous échapper de la bouche, des récits dantesques de ses spectateurs. Lesquels seraient, selon la police du bon goût sillonnant régulièrement l'endroit et ses couloirs blafards, sortis tête baissée, le moral à zéro – un membre du public aurait levé le poing un instant, mais l'aurait aussitôt remisé, honteux.

Pour prendre un semblant de mesure du chaos sonore ayant scotché l'auditoire ce soir-là, il suffit déjà de se procurer un exemplaire de l'album que le duo venait défendre, L'Enfer Tiède. De s'enfermer dans une pièce sombre, de lancer le CD d'une traite, sans faire de pause. Et là, l'effroi. Soudain le vide. Des nappes atmosphériques étouffantes, des échos bruitistes, industriels, dressant un cauchemar urbain oppressant. Un flow tout en scansion frénétique, dont le charme de l'accent toulousain vire illico à l'anecdotique. Entre chanson, rock, électro et hip hop, la musique de Programme déambule hagarde entre des rimes calcinées, des paysages atomisés, vous force à regarder l'effroi dans les yeux, sans possibilité de détourner le regard. A l'époque, en comparaison, on disait volontiers que Mano Solo passait pour un boute-en-train.

La satiété du spectacle

Début des années 90. Arnaud Michniak, future voix hantée et parolier apocalyptique de Programme, anime une émission de radio à Toulouse avec son compère Michel Cloup. Le show, Infra, est pensé sous haute influence «surréaliste, dadaïste et situationniste», patchwork sonore, agrégat de samples, partouze musicale tous azimuts. L'on y passe tout, n'importe quoi, on s'y justifie en se drapant de mauvaise foi, on y brasse du concept superfétatoire.

Lorsque Michniak et Cloup décident de monter un groupe de rock, Diabologum, ces principes demeurent en vigueur – pas de ligne directrice, si ce n'est celle de se laisser aller à ses envies du moment, de forger son identité en digérant ses influences pour mieux les régurgiter avec violence, la gueule ouverte. Le morceau éponyme de leur premier album, A découvrir absolument (1996, Lithium), profession de foi de leur non-style, est ainsi le résumé décousu d'un film aussi imaginaire que cauchemardesque, sur un discret beat hip hop et des guitares savamment saturées. D'album en album, leur identité sonore est toujours aussi ardue à cerner, à une impression près : de leurs compositions se dégage systématiquement une vraie, sincère et belle énergie du désespoir, une poésie affleurant derrière un son brut et massif. Y compris sur leur mise en musique du sublime monologue de Françoise Lebrun dans La Maman et la Putain de Jean Eustache, six minutes de beauté pure à se damner, meilleur hommage possible à la réappropriation forcenée du patrimoine artistique prônée par les situationnistes. En 1998, au moment où la reconnaissance de Diabologum commence enfin à assurer au groupe des lendemains qui chantent, Michel Cloup et Arnaud Michniak décident de mettre fin à l'aventure. Le premier fondera le groupe Experience, le second Programme.

Je sais où je vais

De sa rencontre avec le musicien Damien Bétous, bourreau de guitare et manitou fiévreux de ce qu'on commençait à nommer avec des pincettes la “Musique Assistée par Ordinateur“, Arnaud Michniak livre un premier opus au titre… programmatique, Mon cerveau dans ma bouche, en 2000. Sur des sons sépulcraux, les mots sortent en une logorrhée poétique d'une force inouïe, leur sens s'aliène en un tout à la cohérence terrifiante, même lorsque Des singes déboulent de partout et tabassent tout ce qui se passe ; ici, le Boomerang ne fait pas de boums ou de bangs, il te revient en pleine gueule et l'explosion sanguinolente qui en résulte n'apaise rien. Rock français, année zéro, Programme s'infiltre dans une brèche que personne n'avait osé excaver. Suivront L'Enfer Tiède, Génération finale, une installation effectuée dans le cadre de la Biennale d'Art Contemporain de Lyon et le trois titres Bogue.

En 2005, Michniak et Bétous décident d'un commun accord de faire une pause. Arnaud participe à la production de l'album Road movie en béquilles du rappeur toulousain Nonstop (allez vite écouter l'incroyable Idiot cherche village sur son myspace), sort son album solo, Poing perdu. En 2010, Programme se reforme, sort un nouvel album, Agent réel. On vous invite à aller voir le clip du morceau éponyme, primesautier aperçu de ce qui vous attend mercredi prochain.

Programme
Mercredi 26 mai à 20h30, au Ciel


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