Rire de peur que…

ZOOM / Le festival Regards croisés fête ses dix ans, avec une édition diablement intéressante au vu des auteurs et des textes retenus. Avant de vous en dire plus sur les différents artistes, on est allés questionner Bernard Garnier, le maître de cérémonie de ce temps fort mené autour des écritures théâtrales d'aujourd'hui. Propos recueillis par Aurélien Martinez


Petit bulletin : Le thème de cette nouvelle édition de Regards croisés est "Hé ! Hé !". Ça semble plus joyeux que les précédentes !
Bernard Garnier : C'est ce que l'on souhaitait. Même si je ne suis pas sûr que le monde soit beaucoup plus gai que l'année dernière, et que l'on aille vers des printemps qui chantent. C'est donc plus une attitude par rapport au monde, à ce qui nous environne. On peut ainsi évoquer derrière ce "Hé ! Hé !" l'idée de rébellion, de résistance… Car ce "Hé ! Hé !" mis en avant n'est pas du tout un rire de dérision, de moquerie ou d'ironie, mais un rire presque provocateur : tant que l'on rit, on est en vie.

Cette idée se matérialise dans les pièces retenues, qui manient beaucoup l'absurde…
En choisissant les textes, on n'a pas tout de suite la vision globale. On avait ainsi commencé avec Nez rouges, peste noire, le texte de Peter Barnes [écrivain anglais mort en 2004, NDLR] l'un des évènements de ce festival. Ça a rapidement été l'inspirateur de cette édition puisqu'au départ, on parlait de catastrophe joyeuse. Pourtant, au final, tous les textes ne parlent pas de catastrophe joyeuse, d'où le choix du "Hé ! Hé !", qui reprend la même idée mais de façon plus cernée. À chaque fois donc, on a un regard différent autour de la thématique : d'ailleurs, on ne rit pas toujours franchement à la lecture des pièces, dont certaines font preuve d'un humour assez noir, parce que le contexte l'est tout autant.

Pour cette dixième édition, on retrouve beaucoup d'auteurs qui ont participé de près ou de loin à l'aventure Troisième Bureau…
On a voulu faire une dixième édition un peu différente des autres, même si l'on n'avait pas envie de faire un florilège des neuf précédentes. On s'est donc plutôt laissés guider par nos lectures, en décidant d'inviter des auteurs qui ont été nos compagnons de route. On avait ainsi lu une pièce de Sebastian Barry pendant le festival 2004, ou une de Juan Mayorga en 2008 – même si ce dernier n'avait pas pu venir à Grenoble à l'époque. Il y a aussi Samuel Gallet, un auteur dont on n'avait jamais présenté de texte dans le cadre du festival [les éditions précédentes, il était simplement auteur associé, ses pièces ayant été lues lors d'autres évènements organisés par Troisième Bureau, NDLR]. Pareil pour Enzo Cormann, qui a été un compagnon de route engagé pendant sept ans, avec une condition : que jamais ses pièces ne soient lues. Maintenant, on travaille toujours ensemble mais à distance, alors on a pu lui proposer de rompre le pacte ! Il rencontrera d'ailleurs Mayorga un soir, lors d'un café des auteurs qui promet. Car c'est ça aussi Regards croisés : confronter les points de vue et les auteurs dès que l'on peut.

Après dix ans de service, le festival semble avoir trouvé sa place dans le paysage local…
Oui, même s'il a connu des périodes difficiles, notamment lorsque l'on a perdu les partenariats institutionnels en 2005 suite à la réouverture de la Maison de la culture. En 2003 et 2004, le festival durait neuf à dix jours, avec plein de spectacles ; on invitait plus d'auteurs. On a dû réduire la voilure en 2005 : c'était soit ça, soit on arrêtait… ce qui n'a pas été le cas ! On est donc toujours là, et ce qui me plait assez, dix ans après, c'est que j'ai l'impression que l'on est toujours en mouvement. On aurait pu devenir un festival qui présente chaque année des auteurs pendant une semaine et puis voilà. Or, ce n'est pas le cas, notamment parce que l'on mène un travail annuel important [Bernard Garnier nous parle alors des partenariats avec diverses institutions, des ateliers en direction des scolaires ou des universitaires, de la mise en valeur du Centre de ressources des écritures théâtrales contemporaines, des lectures mensuelles au café La Frise... NDLR]. Et l'on est toujours là car on a un soutien institutionnel fort, de la part de la mairie, du département et de la région, même si la Drac ne nous suit pas assez…

REGARDS CROISÉS
Du vendredi 28 mai au samedi 5 juin. Au Théâtre 145, sauf pour les rencontres qui se déroulent à la Bibliothèque Centre ville.


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