Déambulations textuelles


Le titre annonce l'ambition de ce projet déambulatoire des élèves du Conservatoire de théâtre à rayonnement régional de Grenoble : prendre à contrepied la société tout entière. De fait, le montage de textes mis en scène par Eric Frey, donne à voir les élucubrations d'écrivains aussi hétéroclites que James Ellroy ou Jean-Charles Massera, mais qui ont toujours en commun de porter la plume dans la plaie : au moyen d'un théâtre du burlesque, c'est ainsi le spectacle de la société avec ses absurdités et ses ironies qui est mis en scène. Sous la forme d'une visite guidée on est d'abord pris à témoin d'un échange grand-guignolesque sur la disparition des espèces, ce qui nous vaut au passage quelques répliques savoureuses au nombre desquelles un « Fuck les fauves-souris » qui vous prend par derrière. Si l'on survit à ce premier tableau qui tourne un peu à vide au risque d'oublier son auditoire, faute d'une trame narrative claire, on aura droit à une suite de scènes plus percutantes et plus réjouissantes aussi à mesure que la visite avance. Progressivement et sans en avoir l'air, on passe du dehors au dedans, au propre comme au figuré, la proximité physique avec les comédiens n'y étant pas pour rien. À l'intérieur de la MC2 - nous marchons toujours - la mise en scène ingénieuse de textes tirés de Vengeance Tardive, de Rebotier, met en perspective la vacuité du langage télévisé lorsqu'il est amené à l'excès, et pousse la sitcom dans ses retranchements les plus grotesques. Il est alors temps de gagner le petit théâtre pour prendre place devant nos 13 comédiens-guides qui s'essayent à conserver l'attention du spectateur, tant il est vrai que la représentation, pour diverse qu'elle soit, n'en fait pas moins ses 3 heures. Une impression renforcée par le sentiment d'avoir perdu, une fois dans la salle, notre dignité de badaud complice, au profit d'un statut de public captif. On pourrait aussi s'interroger malgré l'enthousiasme du metteur en scène sur la théâtralité de certains textes, adaptés pour l'occasion, et dont on retient surtout que pour s'affirmer en révolte il faut mettre bout à bout les mots « masturbation » et « marxisme ». Les passages du Recours aux forêts de Michel Onfray illustrant involontairement cette résonance caricaturale.Heureusement, les quatre filles et neufs garçons qui donnent vie aux textes ne manquent pas d'énergie, et proposent quelques fulgurances dont un punchy Chant des bananes introductif tiré du Le Dos de la langue1, Rebottier encore lui, ou une envoûtante chorégraphie sur une variation Sergio Leonienne.
Quentin PourbaixUn peu d'art brut dans ce monde de douceur.
Mise en scène Eric Frey
au Jardin des dragons et des coquelicots et Petit Théâtre de la MC2
Vendredi à 20h30 Samedi à 19h30


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Dans le vent