De corps et d'épure

L'esprit est un muscle, qu'il convient de raffermir et d'élancer. Le musée Géo-Charles démontre une fois de plus sa capacité à nous engager dans cette voie de manière intelligente et sensible, en présentant les œuvres majeures d'artistes l'étant tout autant. Laetitia Giry


Les vidéos et photographies choisies pour « The mind is a muscle » ont en commun une nature performative faisant l'essence première de leur substrat artistique. Sept artistes ayant contribué à l'avènement du corps comme outil, sept œuvres et trois salles : le pari pouvait inquiéter. Mais l'espace est agencé de manière logique et épurée, laissant la place nécessaire à l'œuvre pour respirer, et au public pour se confronter à elle le regard alerte et disponible. De Gina Pane et ses témoignages photographiques sanglants à l'impassible Marina Abramovic et son cruel jeu du couteau, en passant par Esther Ferrer et Jo Spence, celles qui ont été les grandes voix de la remise en question des formes dans l'art contemporain cohabitent ici avec bonheur. Entre victimes et bourreaux, leurs corps s'exposent inlassablement dans la plus grande authenticité, avec une objectivation contrôlée qui dit son nom sans rougir : la liberté.Charme épidermique
L'œuvre sans doute la plus percutante se découvre sur grand écran dans une salle noire de jais : « Barbed Hula », performance filmée de l'artiste israélienne Sigalit Landau. Nue sur la plage, le cerceau de barbelé lui servant de houla-hop vient imprimer ses stigmates au rythme langoureux des tournoiements sur une peau se laissant pénétrer avec une déroutante souplesse dans la paisible indifférence du paysage. Le remous de la mer impose sa douceur enchantée, créant le berceau d'une mélancolie étranglée à la légèreté peu commune. Si l'objet n'est pas dénué de connotations en tous genres – symbolique christique de la couronne d'épines, portée politique de son potentiel de barrière, de marque d'oppression – c'est surtout l'intensité poétique de la chair s'acceptant souffrante qui constitue le lyrisme de l'œuvre. Le corps, objet de toutes les fixations et cristallisations, est avant tout un manifeste de vie et d'action. L'absence de visage dépersonnalise et élargit le spectre de l'impact réel de la poésie charnelle qui s'élabore ici, celle qui engage la réappropriation des notions de risque et de danger dans une société tendant sans cesse vers le détestable culte du lisse. Comme un plaidoyer en faveur d'un art ignorant la frilosité. On pense à « la persistance déraisonnable à faire de l'art » – les têtes de verre remplies d'azote du groupe AOo (exposée cet été au CNAC) – au souffle salvateur des légères prises de risque, broutilles en rapport à ce que la réalité nous tend au quotidien. “The mind is a muscle”
Jusqu'au 7 novembre 2010, au Musée Géo-Charles


<< article précédent
Abstractions d’espace